Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Vincent Delerm
dans un bar d'Evreux le mardi 3
janvier à 20 h 20. On s'est
assis à la table 43. Le serveur
était un peu maladroit, débarqué
en 82... à Evreux.
Vincent,
vous avez été particulièrement
inspiré dans "Amsterdam".
Y a des marins qui dorment comme
des oriflammes le long des berges
mornes. C'est fort !
Vous voulez sans doute parler de
"Châtenay-Malabry".
Une chanson assez inoubliable en
fait. Pleine de détails plutôt
touchants : à un moment,
on mange une succulente truite aux
amandes, Cécile avait fait
des guirlandes rouges et dorées
pour le vingt-quatre et même
Jean-Christophe a ressorti ses legos.
Je me demande où je vais
chercher tout ça. Vous êtes
déjà allé à
Châtenay-Malabry ?
Non.
C'est où par rapport à
Evreux ?
Euh...
Vincent,
après Ardant et Arquette
quelle sera l'actrice dont vous
parlerez dans une nouvelle chanson
?
J'hésite entre Carole Bouquet
et Véronique Genest. Je crois
que je vais prendre la seconde.
Vous
n'avez pas peur de perdre ainsi
une partie de votre auditoire socialiste
?
Figurez-vous que j'y ai pensé.
Ah
bon ?
En contrepartie j'ai prévu
une chanson qui réussira
à me les fidéliser.
Ce
sera quoi ?
"C'est un peu décevant
l'Elysée sans Mitterrand."
C'est
un peu alléchant.
Non. Décevant.
Après
Châtenay-Malabry, Deauville
puis Evreux allez-vous chanter encore
une de nos belles communes de France
?
Absolument. Et je pense même
à Grasduche-les-Parpagnes.
C'est
où ça ?
J'en sais rien pour l'instant. Je
dois rencontrer sous peu le gars
du syndicat d'initiative qui m'a
contacté. Après on
verra.
On
vous dit l'égal des plus
grands. Ne seriez-vous pas finalement
quelque part entre Jean-Louis Aubert
et Obispo ?
Oui. Mais plus près de Jean-Louis
Aubert. Rapport à la longueur
des cheveux.
Y
a-t-il des points communs entre
vous et Cabrel, l'autre poète
de la chanson du Lot et Garonne
?
Aucun. D'abord, je me suis jamais
rasé la moustache. Ensuite,
Cabrel s'applique quelque part dans
ses textes à la métaphore
comme qui dirait du genre je fais
fuir la muse capricieuse. Moi, je
fais plutôt dans le concret.
Du style rédaction du brevet
élementaire. Vous saisissez
?
Euh...
Prenons un exemple. Cabrel dit :
"Dormir sur des paquets de
planche". Moi j'écrirais
plutôt : "Je m'allonge
sur mon matelas moelleux acheté
chez IKEA et je mate le mur où
sur le papier peint il y a un poster
de Balasko".
A
Evreux ?
Non, à Toronto.
Les
paroles de la chanson "Deauville"
laissent-elles à penser que
vous êtes fan des films de
Lelouch ?
Elles le laissent en effet. J'adore
"Un homme, une femme"
bien sûr. Après Trintignant,
il faudrait que je fasse un de ces
quatre une chanson sur Anouk Aimé.
L'idée
me paraît excellente.
En effet. Mais d'abord il faut que
je m'imprègne d'elle, si
j'ose dire.
Comment
ça ?
Je la poserai sur l'étagère
entre un bouquin de Beigbeder et
une carte postale de ma belle-mère.
On écoutera du black-metal.
Beau
programme, ma foi.
Oui. On aura une relation comme
ça, Anouk Aimé et
moi.
Vincent,
vous avez écrit que les filles
de 73 ont trente ans...
Oui. Et alors ?
N'y
risquez-vous pas d'y perdre un peu
de crédibilité auprès
d'une partie infime de votre public
qui a appris à compter ?
Comment ça ?
Eh
bien, c'est faux, elles n'ont pas
trente ans. Nous sommes en 2024
et elles en ont cinquante et un.
Vous avez raison. Pour réparer
cette boulette, je vais écrire
un nouveau texte nommé "Les
filles de 75 ont cinquante et un
ans"...
Permettez
que je vous arrête, Vincent.
Je vous en prie.
Pour
cette année, ça peut
marcher en effet. Je dirais même
jusqu'au 31 décembre. Mais
pour les années suivantes,
sûrement pas.
Vous avez raison. Pour la chanter
le plus longtemps possible, je crois
que je vais prendre le titre suivant
: "Les filles de 73 ont vieilli".
Ca devrait aller.
Vincent,
que pensez-vous de cette belle affirmation
de Jean Claude van Damme : "L'inspiration
ne rime pas forcément avec
la transpiration" ?
C'est vrai que quand tu vas chercher
l'inspiration en plein mois de janvier
à 20 h 20, tu risques pas
de transpirer de trop quand il neige
un peu...
A
Evreux ?
Exactement.
De
quoi sera fait votre nouvel album
?
Oh, de pas grand chose en fait.
Au départ je voulais mettre
en musique les textes du dernier
catalogue des Trois Suisses puis
je me suis dit que, finalement,
je ferais mieux de raconter, avec
ce sens inné de la poésie
qui me caractérise, tous
ces petits riens qui font la vie
de tous les jours. Et sûrement
un petit truc aussi sur le zoo de
Vincennes.
Avec
plein de vautours ?
Putain, j'ai horreur des vautours
!
Ce
sera donc le mot de la fin.
On peut pas choisir à la
place "condor des Cévennes"
?
Puis
j'ai quitté ce fin et délicat
manieur de mots qu'est Vincent Delerm
capable de faire rimer Traviata
avec Thalassa. Dehors, la charmante
cité normande s'était
assoupie. Alors j'ai repris la Rover.
J'envisageais un retour bouchonné.
Quelques flocons voletaient dans
l'air. Il neigeait un peu... à
Evreux.
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