Mario 
                                                Vargas Llosa 
                                                 
                                                Tante Julia Et le Scribouillard 
                                                (1977)  
                                               
                                                 
                                                Introduction extravagante 
                                                :  
                                                 
                                                Je connais une blondinette (parmi 
                                                d'autres) qui va à Marseille 
                                                quand je vais à Marseille, 
                                                qui va à Florence quand 
                                                je veux aller à Florence 
                                                et qui aime les mêmes écrivains 
                                                que moi. Tous ces points communs, 
                                                ça m'agace. 
                                                 
                                                Nous étions fin juin. Je 
                                                trimbalais mon bouquin dans le 
                                                métro, ligne 12, entre 
                                                Concorde et Saint Lazare. Je discutais 
                                                avec la blondinette susdite qui 
                                                me demanda ce que je lisais, soit 
                                                Carlos Fuentes. Je lui expliquais 
                                                qu'un ami m'avait dit avoir pensé 
                                                à moi en le lisant et que 
                                                c'était pour cette raison 
                                                que j'avais tenté ma chance. 
                                                Ensuite j'eus bien du mal à 
                                                lui faire comprendre comment je 
                                                pouvais m'identifier à 
                                                un homme dont la libido passait 
                                                entièrement dans le théâtre 
                                                et insistait davantage sur la 
                                                femme qui jouait pour lui. Bref, 
                                                je fus bien content de changer 
                                                de sujet.  
                                                 
                                                La blondinette, donc, me parla 
                                                de ses lectures et sortit de son 
                                                sac un Mendoza. J'ignore qui est 
                                                cet auteur mais le fait est qu'outre 
                                                notre lieu de travail, notre métro 
                                                et à peu près tout 
                                                le reste, nous partagions également 
                                                des lectures hispaniques. Elle 
                                                m'avoua alors qu'elle avait de 
                                                la famille au Pérou et 
                                                me demanda si j'avais déjà 
                                                lu Mario Vargas Llosa. La réponse 
                                                étant absolument négative 
                                                (je ne connaissais pas même 
                                                le nom d'un écrivain péruvien), 
                                                elle me conseilla "La tante 
                                                Julia et le scribouillard". 
                                                 
                                                Le roman : 
                                                
                                              
 "La 
                                                tía Julia y el escribidor" 
                                                est un roman qui m'a été 
                                                présenté comme étant 
                                                dans la veine Garcia Marquez. 
                                                C'est vrai, en partie. On retrouve 
                                                chez Vargas Llosa (ils font chier 
                                                ces hispaniques avec leurs noms 
                                                doubles) l'inventivité, 
                                                l'exotisme, le sexe débridé, 
                                                les histoires de famille, l'impudicité 
                                                et l'humour étrange de 
                                                GGM. Disons que MVL est ici un 
                                                GGM en moins dense, en moins coloré 
                                                et en moins épique. 
                                                 
                                                Le roman de MVL est découpé 
                                                en deux parties : l'histoire de 
                                                la tante Julia et les feuilletons 
                                                radiophoniques écrits par 
                                                Pedro Camacho, le scribouillard 
                                                argentinophobe. C'est à 
                                                dire qu'un chapitre sur deux est 
                                                consacré à Julia 
                                                et le chapitre suivant est un 
                                                épisode du feuilleton. 
                                                Ces épisodes qui n'ont 
                                                a priori aucun lien entre eux 
                                                représentent l'intérêt 
                                                et le défaut principal 
                                                du roman. Cette succession d'histoires 
                                                différentes a l'inconvénient 
                                                de forcément en proposer 
                                                de qualité différente. 
                                                Certaines sont très bonnes 
                                                (le curé truand par exemple) 
                                                et d'autres bien moins. Du coup, 
                                                à la lecture, je pouvais 
                                                passer vingt pages en un clin 
                                                d'oeil et rester trois jours sur 
                                                les vingt suivantes. Et jusqu'à 
                                                cent pages de la fin, je n'avais 
                                                pas compris quelle était 
                                                la finalité de la chose. 
                                                 
                                                 
                                                Le fait est qu'outre les passages 
                                                autobiographiques (Vargas a réellement 
                                                épousé sa tante 
                                                Julia) avec force personnages 
                                                originaux et romances diverses, 
                                                il y a Pedro Camacho, écrivain 
                                                excentrique dont les délires 
                                                dans la partie Julia se répercutent 
                                                dans le feuilleton. Par exemple, 
                                                les auditeurs se plaignent de 
                                                ne plus s'y retrouver dans les 
                                                patronymes des personnages et, 
                                                effectivement, dans les chapitres 
                                                suivants, les personnages ont 
                                                des noms déjà utilisés, 
                                                revivent alors qu'ils sont morts 
                                                ou se mélangent de façon 
                                                absurde. Et ça, c'est rigolo 
                                                (un peu). 
                                                 
                                                Evidemment, c'est ici que je peux 
                                                me demander si j'ai trouvé 
                                                la deuxième personne capable 
                                                de me conseiller un livre que 
                                                j'ai aimé. Seulement je 
                                                reste un peu hésitant car 
                                                ce n'est pas une décision 
                                                qui se prend à la légère, 
                                                vous comprenez bien. Sachez cependant, 
                                                pour l'anecdote, que Mario Vargas 
                                                Llosa est resté marié 
                                                huit ans avec sa tante avant de 
                                                divorcer et d'épouser... 
                                                sa cousine. Il aurait pu écrire 
                                                "La cousine Patricia et le 
                                                scribouillard". 
                                                 
                                                Conclusion funambulesque 
                                                :  
                                                 
                                                Un film de Kitano, "Glory 
                                                to the filmmaker", ne passait 
                                                que dans un seul cinéma 
                                                à Paris (il n'y avait que 
                                                quatre copies en France) et c'était 
                                                les "3 Luxembourg". 
                                                Ce cinéma a la particularité 
                                                d'avoir une guichetière 
                                                que je surnomme "La poissonnière". 
                                                Elle est odieuse, vulgaire, répugnante 
                                                et jure comme une charretière. 
                                                Chaque fois que je m'y rends, 
                                                je trépigne à l'idée 
                                                de la voir à l'oeuvre. 
                                                Ce jour là, elle n'y manqua 
                                                d'ailleurs pas. Imaginez une femme 
                                                de la soixantaine ultra tassée 
                                                (pas de retraite dans la vente 
                                                de poissons), clope au bec avec 
                                                deux centimètres de cendres 
                                                et un t-shirt sur lequel est écrite 
                                                la contrepèterie haut de 
                                                gamme suivante : "La rage 
                                                qui vit" ("la vache 
                                                qui rit", hein, vous aviez 
                                                compris). Vous l'avez en tête 
                                                ? Très bien. Un jeune arrive 
                                                et lui dit : "bonsoir, je 
                                                voudrais acheter ma place" 
                                                et elle lui répond : "Non", 
                                                sans sourciller. Elle est trop 
                                                fendarde, la poissonnière. 
                                                Bref, lorsque vint l'heure, je 
                                                dus l'affronter et, comme de bien 
                                                entendu, elle était à 
                                                son guichet et râlait. "Il 
                                                ne faut pas vous énerver, 
                                                tout va bien", lui dis-je. 
                                                Avec moi, tout va toujours bien, 
                                                je suis tel le canard sur les 
                                                plumes duquel tout coule. La poissonnière 
                                                me répondit que non, tout 
                                                n'allait pas bien, qu'on allait 
                                                entrer dans la salle en retard, 
                                                que ceci et que cela. Alors qu'elle 
                                                maugréait tout en me rendant 
                                                ma carte UGC illimitée, 
                                                elle posa son regard sur mon livre, 
                                                ses yeux s'écarquillèrent 
                                                et elle s'exclama : "Ooooooh..... 
                                                LA TANTE JULIA ET LE SCRIBOUILLARD 
                                                !!!!!  
                                                 
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