Edmond Rostand
Chantecler
(1910)
Je vais vous raconter ce qu’il
m’est arrivé tantôt.
J’ai trouvé près
de mon lit sous un amas de livres
divers, le vieux cadeau d'une
groupie qui traînait par
terre. Houla, attendez, j'ai des
rimes, là, permettez que
je recommence.
Gisait près de mon lit
sous des livres divers, le don
d'une groupie qui languissait
par terre.
Voilà qui est mieux. De
plus "languir" est préférable
à "traîner".
Je ne voudrais pas que vous pensiez
que je laisse traîner les
cadeaux qu’on me fait, un
homme tel que moi, enfin, un peu
de sérieux. Il y a eu du
rangement récemment pour
cause de fuite de la toiture et
tout ici s’est vu chamboulé
durant mon absence. Et puis vous
noterez que j’utilise le
verbe gésir qu’on
ne peut conjuguer qu’au
présent et à l’imparfait
de l’indicatif. C’est
un verbe intellectuel, gésir.
Sur ce cadeau que je sus recevoir
avec plaisir de la main langoureuse
d’une mignonnette marseillaise
était écrite une
citation de Jacques Prévert
qui disait ceci : "Trois
allumettes une à une allumées
dans la nuit. La première
pour voir ton visage tout entier.
La seconde pour voir tes yeux.
La dernière pour voir ta
bouche. Et l’obscurité
tout entière pour me rappeler
tout cela en te serrant dans mes
bras". C’est mignooooooooon
!
On est encore bien loin d’Edmond
Rostand, n’est-ce pas ?
J’y viens, j’y viens.
SOUS Prévert se trouvait
un papier déchiré
à même la moquette
bleu nuit. Il n’a pas été
déchiré dans la
moquette… il était
posé à même
la moquette. Sur ce papier était
écrit le chiffre "4003"
(?!?) et au dessus, au crayon,
la phrase suivante de ma main
: "il n’est de grand
amour qu’à l’ombre
d’un grand rêve".
Il était sous une pile
de six livres et sous une carte
en papier crépon achetée
quinze centimes dans la rue marchande
d’une cité sudiste.
Ce papier est donc le papier original
puisqu’il se situe DESSOUS.
L’ordre des papiers, c’est
comme les strates : le plus vieux
est toujours dessous. Je vous
invite à me croire sur
parole puisque faire des coupes
stratigraphiques était
mon occupation quotidienne lorsque
j’étudiais la géologie.
C’était ma spécialité,
eh ouais !
Et l’anticlinorium couché,
me direz-vous ?
Arrêtez de déconner.
J’oublie donc ce papier
qui gisait et je m’installe
sur mon lit afin de terminer "Chantecler".
Là se situe le dialogue
suivant :
CHANTECLER
Quand on habite une âme,
il vaut mieux, crois-le bien,
S’y rencontrer avec l’Aurore
– qu’avec rien !
LA FAISANE
Non ! c’est le grand amour
que l’Aurore m’enlève
!
CHANTECLER
Il n’est de grand amour
qu’à l’ombre
d’un grand rêve !
Comment ne veux-tu pas qu’il
coule plus d’amour
D’un cœur qui par métier
doit s’ouvrir chaque jour
?
J’ai mis la main sur une
vieille citation et cinq minutes
après je lis la pièce
de théâtre de laquelle
elle est issue, sans même
le savoir ! Et tout ceci n’est
dû qu’à un
inexplicable concours de circonstances.
A présent, je peux consacrer
dix lignes à "Chantecler".
Rostand a écrit "Chantecler"
alors qu’il était
au sommet de sa carrière
(sa femme le trompait, c’est
un signe). Certains y voient une
critique politique… j’y
vois un énorme travail
sur les mots. "Chantecler"
est une œuvre d’esthète,
un jeu de l’esprit, un jeu
sur les vers et sur les rimes.
L’histoire, il y en a pas,
ou peu : un coq fier est persuadé
que son chant fait se lever le
soleil. Il tombe amoureux d’une
faisane pendant que les animaux
nocturnes complotent contre lui.
Ce n’est pas très
profond et assez enfantin mais
Edmond Rostand ne semble pas s’en
soucier. Tout n’est qu’un
prétexte pour s’amuser
avec ses phrases, son pivert linguiste
et quelques répliques.
Malgré son aspect singulier
(ce sont des animaux qui parlent)
et la faiblesse de son action
et de ses situations, j’ai
préféré cette
pièce à "L’aiglon"
plutôt ronflant et boursouflé.
"Chantecler" est la
dernière œuvre de
Rostand ; cette pièce sur
un coq qui chante fut son chant
du cygne.
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LA
CHRONiQUE D'UNE
AUtRE OEUVRE DE
ROStAND
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Cyrano
De Bergerac
Jean Rostand
...
sous ses
airs revêches,
Cyrano
a un coeur
tendre
...
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