Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Roger Waters. Quand
je suis arrivé devant sa
propriété, je me suis
trouvé face à un mur
(en anglais "the wall")
blanc de deux mètres de haut
envahi de culs de bouteilles. J'ai
sonné. Une voix anonyme m'a
donné l'ordre de déclarer
mon CV. Puis une grande porte blindée
s'est ouverte. Alors, je suis arrivé
dans un magnifique parc où
deux hommes (des gardes du corps
sans doute) sont venus à
ma rencontre, accompagnés
de bergers allemands à l'air
particulièrement féroce.
L'un d'eux (l'homme, pas le chien)
m'a fait pénétrer
à l'intérieur de la
villa. C'est alors que j'ai rencontré
Roger Waters dans son gigantesque
studio d'enregistrement où
il commença à me faire
écouter quelques sons bizarres.
On entendait des cris de nouveau
né, des bombes qui explosaient,
des bruits de foule, des chiens
qui aboyaient, des hélicoptères
qui virevoltaient, des Famas qui
crépitaient, des chevaux
qui galopaient, des motos qui pétaradaient,
des réveils et des téléphones
qui sonnaient à qui mieux
mieux.
Dites-moi
Roger, c'est quoi ce tintamarre
?
Ca, c'est les bruitages pour mon
nouvel album. Je travaille dessus
en ce moment. C'est un sacré
boulot. Je vais garder les plus
parlants.
C'est
nécessaire tout ce boucan
sur vos disques ?
Oui. C'est en quelque sorte ma marque
de fabrique. Mes disques ne seraient
plus ce qu'ils sont sans ça.
J'y perdrai un peu de mon identité
et quelque part de mon âme.
Roger Waters doit faire du Roger
Waters tout comme Mozart faisait
du Mozart.
Vous
allez enfin proposer un nouvel album
?
Oui. Mais peut-être pas cette
année. C'est vrai que depuis
15 ans, j'ai rien sorti. Mais c'est
parce que je suis un perfectionniste.
Je compose beaucoup puis je trouve
ça pas mal. Je me dis : "putain,
t'es trop fort !". Puis une
fois tout ça enregistré,
je change d'avis. Seule la perfection
m'intéresse. Par exemple,
au depart, "The wall"
devait s'appeler " It's at
the foot of the wall that we see
the mason".
C'était
pas terrible.
Exact. Et bien, au dernier moment,
j'ai raccourci le titre. Je le trouvais
pas porteur. C'est tout moi ça.
Beaucoup de talent, du génie
même, n'ayons pas peur des
mots, mais une constante remise
en question aussi. Comme je le disais
pas plus tard que l'autre jour à
Nick Mason quand je l'ai rencontré
sur la plage : "La création
c'est comme le bronzage, faut passer
d'abord par le coup de soleil".
Vous saisissez ?
Non.
Mais au fait à propos de
Nick Mason, où en êtes-vous
de vos démêlés
avec vos ex-compagnons de Pink Floyd
?
Nick a compris que j'étais
le créatif dans le groupe,
que sans moi, Pink Floyd, c'est
comme Dream Theater sans Labrie,
autant dire rien. Il est d'accord
pour tout recommencer à condition
que ce soit moi qui compose et dirige.
Il
a dit ça ?
Pas vraiment mais je lui ai fait
comprendre quand on s'est vu cet
été sur la plage.
Lui, il veut seulement continuer
d'agrandir sa collection de vieilles
bagnoles de course.
Et
avec Gilmour ? On parle de divergences
à propos d'écologie.
Qu'en est-il vraiment ?
C'est vrai que tout le monde connaît
mon amour de la chasse à
courre. J'en parlais pas plus tard
que hier soir avec Charles…
Aznavour
?
Non. L'autre, celui aux grandes
oreilles. Bon, Gilmour, il a pas
aimé ça. Voir le renard
souffrir, ça l'insupporte.
Ce gros balourd comprenait pas l'aspect
tradition et patrimoine de la chose.
Sans doute, un reste de son séjour
à Saint-Trop' près
de Brigitte…
Lahaie
?
Non. La vioque aux bébés
phoques. Alors, devant ce manque
de compréhension, il a préféré
partir.
Et
Wright ?
Il comprenait rien à mon
œuvre. Il disait "The
wall" sur scène, ça
va coûter la peau des fesses
tous ces parpaings. Il pigeait que
dalle à mon génie
de l'allégorie. Du coup,
en accord avec moi-même, je
l'ai largué du groupe.
Y
a-t-il une chance de voir un jour
le groupe se reformer ?
Sans doute. Personnellement, je
suis entièrement d'accord.
Seulement, il faut que les autres
y mettent du leur. Quand je les
ai rencontrés l'autre jour,
ils faisaient la manche dans Hyde
Park. M'ont même pas dit bonjour.
Guère reconnaissants les
mecs…
Vous
êtes un peu fautif, non ?
Pas du tout. Au contraire. Quand
j'ai voulu reformer mon nouveau
groupe sous le nom de Pink Floyd,
après le dernier album "The
final cut", ils s'y sont opposé.
Puis, ils ont eu le culot de former
un groupe qu'ils ont appelé
Pink Floyd. Si c'est pas malheureux
de voir ça !
Comment
expliquez-vous l'échec de
vos albums solo ?
Je ne pense pas honnêtement
qu'on puisse parler d'échec.
J'ai eu de bonnes critiques notamment
dans Le chasseur Français
où le chroniqueur était
enthousiaste. Disons plutôt
que la couverture des albums a été
mal faite. Ils auraient du sortir
normalement sous le nom de Pink
Floyd mais pour les raisons que
l'on connaît, cela n'a pas
pu se faire. Comme quoi, le succès
ça tient à pas grand
chose. Mais, sur mon site officiel,
j'ai reçu plein de mails
d'auditeurs qui m'ont écrit
que mes albums ont changé
radicalement leur vie. Y'a en même
un qui après l'écoute
de "The pros and cons…"
est parti faire le tour du monde
en stop ! Malheureusement, du coup,
il a toujours pas écouté
les deux suivants…
Parlez-nous
un peu de vos projets dans les années
qui viennent.
Je vais arrêter un peu les
live et les bestof. Je ne veux plus
qu'on croie que je suis complaisant
et au bout du rouleau. En ce moment
je bosse comme un dératé
sur un nouveau projet. C'est un
concept-album. Ca raconte l'histoire
d'un mec qui a cassé un mur.
Tout le monde lui a crié
"smash the wall" sur fond
de musique symphonique avec un grand
orchestre, cent choristes dirigés
par Michael Kamen et un solo de
Jeff Beck. Ca risque, toute modestie
mise à part, d'être
assez grandiose. Le mec serre la
main d'un autre et d'un coup, il
prend feu tout en se rappelant son
vieux pote nommé Syd. Après,
il voit un taré qui est sur
l'herbe. Il regarde aussi la télé
mais c'est insupportable. Alors,
il la casse. Il pense qu'il est
entouré d'animaux. Un renard
surtout. Il crie : "Taïaut
!" Il tire alors sur le renard
qui, après trois heures de
course folle, meurt dans d'atroces
souffrances et dans une mare de
sang, entouré d'une meute
de chiens excités alors que
Clapton fait un solo à ressusciter
cette pauvre bête. Puis, il
se souvient que son père
est mort à la guerre. Il
écoute la radio tout en réfléchissant
aux atrocités qui se passent
dans le monde. Tout le long de l'album
- un double cd -, je chante le plus
haut possible. Bon, je souffre un
peu d'accord mais avec les synthés
et l'orchestre symphonique, ça
doit passer. Pas mal, hein ?
C'est
pas un peu confus tout ça,
non ?
Pas du tout. Au contraire, c'est
hyper puissant. Le concept est très
fort. Je crois que là, je
suis trop bon. Si je savais pas
tout le potentiel que j'ai, je m'étonnerais.
Et
l'opéra "Ca ira",
pourquoi ça sort pas depuis
le temps ?
C'est simple. Je l'avais composé
pour le bicentenaire de la révolution
française et je devais le
sortir en 1989. Mais à force
de le peaufiner, je l'ai fini qu'en
2002, malheureusement. Donc, impossible
de le mettre sur le marché.
Ce serait se moquer, quelque part,
de mes amis français.
Et
alors ?
Je pense qu'il sortira en 2089.
Je sais, je risque de pas être
là. C'est dommage pour les
générations futures.
Une
dernière question, Roger
: que voulez-vous laisser à
la postérité ?
Pas grand chose. Seulement un message
fort et porteur. Que mon œuvre,
chétive nef trépidante
emportée sur les flots bouillonnants
du courant intempestif du temps
ravageur, continue de voguer contre
vents et marées pour porter
à l'humanité future
les clés d'un savoir universel.
Merci
Roger pour ces belles paroles.
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