Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau
et sémillant Raphaël,
l'autre soir, après la
cérémonie des
défaites de la chansonnette
française. Les bras pleins
de trophés en tous genres,
c'est à peine si Raphaël
a pu me serrer la main et me
consacrer quelques instants
de son temps plutôt précieux
sans se casser la gueule.
Raphaël, vous avez tout
raflé, non ?
Pas vraiment. Ils m'ont pas
donné le prix de la meilleure
chanteuse.
C'est
étonnant.
D'un autre côté,
c'est un peu normal. Il en faut
aussi pour tout le monde.
Raphaël,
ça vous fait quoi de
figurer en bonne place dans
le petit Larousse illustré
entre rapeux et raphia
?
A dire vrai, j'en suis pas peu
fier même si Rapeu et
Rafia me sont totalement inconnus.
Mais il s'est un peu trompé
sur moi ce Larousse. Du coup,
je comprends pourquoi on l'appelle
"le petit".
Comment
ça ?
J'ai jamais été
ni peintre ni italien. Et encore
moins mort. Je suis bien en
vie et même que dans 150
ans, je m'en souviendrai de
ma première ride, de
nos mauvais choix, de la vie
qui nous baise, de tous ces
marchands d'armes, des types
qui votent les lois là
bas au gouvernement, de ce monde
qui pousse, de ce monde qui
crie, du temps qui avance, de
la mélancolie.
C'est
de Bruel ?
Pas du tout. C'est de moi.
Comment
vous est venue cette idée
plutôt saugrenue de vous
lancer dans la chanson plutôt
que dans la peinture à
l'huile, c'est bien difficile
mais c'est bien plus beau que
la peinture à l'eau ?
Eh bien, c'est simple. Un jour,
j'écoutais Saez et je
me suis dit : "Moi
aussi je peux le faire".
J'ai donc fait comme lui en
enlevant bien sûr le côté
lycéen boutonneux excité.
Pourquoi
donc ?
Je me devais de changer de style.
Inventer Raphaël en quelque
sorte.
C'est
quoi Raphaël ?
De la jolie chanson française.
Mais attention, de la nouvelle
! Avec une voix haut-perchée,
mais à peine. Des mots,
mais le minimum. Plein de rimes,
mais assez osées. Puis
de superbes pochettes avec en
prime ma belle gueule. C'est
important aussi.
C'est
vrai que vous êtes plus
beau que Benabar.
Je le crois aussi. Et quelque
part ça me rassure. Surtout
quand j'écoute mes chansons.
Vous
en pensez quoi de voir votre
nom figurer dans les vainqueurs
peu de temps après Kyo
?
Ca prouve le niveau de cette
cérémonie.
Votre
dernièr album se nomme
"Caravane". Doit-on
y voir là comme un symbole
? Est-ce qu'on va reprendre
la route ? Est-ce que nous sommes
proches de la nuit ? Est-ce
que ce monde a le vertige ?
C'est quand que vous faites
vos adieux ?
Putain, ça fait beaucoup
de questions d'un coup. Vous
pouvez pas recommencer ?
Le
titre "Caravane" a-t-il
pour vous un sens particulier
?
Sûrement pas. Je voulais
simplement appeler cette chanson
"Mobil-home". Mais
j'ai dû changer car ça
rimait pas avec vent.
Mais
ça rime avec boulodrome
?
Peut-être mais ce mot
ne va pas avec l'image de Raphaël.
C'est
quoi Raphaël ?
C'est le Kérouac des
temps modernes. Poète
à la fois beau et on
the road... tout en faisant
du surplace.
Vous
avez écrit vouloir être
Rimbaud.... Rambo, c'était
pas plus simple, non ?
Absolument pas. Vous me voyez
faire de la muscu ?
Pas
vraiment.
En plus, ça n'irait pas,
mais alors, pas du tout avec
Raphaël.
C'est
quoi Raphaël ?
C'est comme du Rimbaud. La guitare
à la main et l'allumette
au bord des lèvres en
plus. Avec en bonus, ce charme
indéfinissable qui n'appartient
qu'à moi.
Vous
avez enregistré une chanson
avec Jean-Louis Aubert, l'auteur
du sublime "Crêpi
et béton". Est-ce
pour vous crouler définitivement
ou bien êtes-vous dur
d'oreille ?
En fait, j'avoue ne pas trop
savoir ce qui m'a pris. Même
le meilleur des nouveaux chanteurs
français peut avoir aussi
ses faiblesses.
Errare
humanum est.
Possible. Mais, comme je comprends
pas le belge, je ne saurais
pas vraiment vous répondre.
Raphaël,
on connaît le peintre
et le soporifique. Vous n'avez
jamais eu envie de faire au
moins une fois de la chanson
française comme Brel
et Ferré ?
Qui ça ?
Comme
Obispo.
En fait, j'ai même composé
récemment un petit truc
qui a ses qualités et
qui se nomme "Chanson pour
Patrick Sébastien".
Un animateur assez connu.
Raphaël,
je me suis laissé dire
que vous êtes très
apprécié par Gérard
Manset.
C'est vrai. Gérard, inoubliable
créateur d' "Il
voyage en vélo solex",
m'apprécie beaucoup et
à juste raison. Mais
je m'en fous un peu.
Ah
bon ?
Comme personne le connaît,
j'en vois pas l'intérêt.
A choisir, je préfèrerais
plutôt être apprécié
par Patrick Sébastien...
Encore que je me vois mal passer
dans son émission faisant
du trapèze tout en lançant
des poignards sur la gueule
de Shirley et Dino.
Ce
serait marrant.
Oui, mais pas très représentatif
de Raphaël.
C'est
quoi Raphaël ?
C'est un poète toujours
super bien fringué qui
exprime comme une métaphore
de la vie ; nous sommes locataires
du monde, on fait notre vie
et on s’en va... mais
le plus tard possible.
Justement,
Raphaël, vous avez écrit
: "C'est bon aujourd'hui
d'être en vie plutôt
que d'être raide mort,
j'ai mis du vent dans mes poumons,
j'en prendrais bien encore pour
cent ans."
C'est très fort, je trouve.
Vous comprenez maintenant pourquoi
je veux être Rimbaud ?
Euh...
pas vraiment.
En tout cas, je sais pourquoi
j'ai eu tant de prix.
Moi,
non.
J'ai écrit d'autres super
belles choses aussi. Je vous
en chante un passage si vous
voulez ?
Sûrement
pas.
Hein ?
Doit-on
comprendre, par votre texte
que je viens de citer, que vous
auriez l'intention bien affirmée
de faire ch..., d'apporter pendant
encore de nombreuses décennies,
plein d'allégresse à
un contingent décati
d'ex-adolescentes en mal de
romantisme à bon marché
?
Bien sûr. En plus, elles
seront pas près de mourir.
Pourquoi
ça ?
Faut savoir que Raphaël,
ça vient de l'hébreu
rapha, "guérir"
et el, "Dieu",
c'est à dire "Dieu
seul guérit".
C'est
trop, seigneur.
De rien, mon fils.
Je
vous vois là, votre sainteté,
super bien coiffé, heureux
vainqueur et les mains chargées
de prix. Vous allez en faire
quoi de toutes ces m..., de
ces récompenses ?
J'hésite entre le vide-grenier
près de chez moi dimanche
prochain ou un site de vente
sur internet. Vous en voulez
une ?
Combien
?
Euh... Deux euros.
Non,
merci.
Un euro ?
Après, j'ai aidé
Raphaël à porter
tous ses glorieux trophés
dans une brouette qu'il avait
judicieusement louée
avant la cérémonie.
Puis, saoul d'une jubilation
sans exemple, j'ai pris congé
de cet indicible artiste, pensant
que les victoires de la musique
avaient l'art de faire connaître
au plus grand nombre plein de
chanteurs d'exception. Vivement
l'année prochaine !
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