Prince
L'interview
Ne
reculant devant aucun sacrifice
et grâce à mon mobilarsen
à propulseur turbo diesel
d'occase j’ai pu me téléporter
en 1999 et j'ai alors rencontré
le beau et sémillant Prince
dans sa luxueuse villa, au numéro
3121. Ce grand artiste du deuxième
et même du troisième
millénaire, orfèvre
appliqué d’innombrables
merveilles de la variétoche
mondialisée, me reçut
en toute modestie dans l'immense
salon de sa demeure de... prince.
Ca s'est passé comme entre
deux vieux amis, autour d’une
bonne bouteille de rouge et d'un
sauciflard pas piqué des
vers. Nous devisâmes de tout
et de rien... enfin, surtout de
rien, abordant les sujets les plus
profonds, avec cette authenticité
que seuls les vrais échanges
permettent.
Prince, ça va ?
Appelle-moi, The Artist.
Euh...
salut The Artist, ça baigne
?
Non... tout compte fait, dis plutôt
Love Symbol.
Ca
va pas, Love Symbol ?
Au contraire, je suis adulé,
je suis pété de thunes,
je vis dans un luxe pas possible,
la volupté, ça me
connaît et je suis beau...
Bon, c'est quoi déjà
la question ?
Pourquoi
vous faire appeler "love symbol"
?... "Prince", je veux
bien... "The Artist",
pourquoi pas ? Mais "Love Symbol",
franchement, je ne vois pas ?
Il suffit de me regarder pour comprendre.
Justement
Love Symbol, quand on vous regarde,
le premier mot qui vient à
l’esprit, c’est “petit”.
Comment l’expliquez-vous ?
Pour être franc, je ne l’explique
pas. Dame nature, qui m'a beaucoup
gâté, faut bien le
reconnaître, sait garder aussi
un peu de ses secrets. Et puis,
je ne suis pas si petit que ça.
Bon, là, t’es assez
éloigné à cause
de cette putain d'immense table
de salle à manger qui m'a
coûté la peau des fesses,
alors forcément tu me vois
petit mais si tu étais plus
près, tu me verrais immense.
Comme quoi, ça dépend
de quel point de vue l'on se place.
Un
jour le grand Shaquille O'Neal a
dit : "Je plains les gens petits,
ils sont les derniers à savoir
qu'il pleut". Ca vous inspire
quoi, Votre Grandeur ?
D'abord, tu dois savoir qu'il pleut
jamais ici. Ensuite, c'est sûr
que c'est cet O'Neal qui va recevoir
en premier les merdes de pigeons
sur le crâne et c'est bien
fait pour sa gueule.
Mais,
pourquoi ce pseudo, Symbol... Je
peux vous appeler Symbol ?
Franchement, non. Et puis, ça
ne voudrait plus rien dire du tout.
Justement
ça veut dire quoi ce pseudo,
Love Symbol ?
C'est parce que je suis le symbole
de l'amour, pardi !
Oui,
mais, c'est quoi l'amour ?
C'est quand les gens regardent que
de mon côté. On peut
même dire que l'amour, c'est
regarder ensemble dans la même
direction... Putain, celle-là,
je la note sur mon calepin en or
pour une prochaine chanson. Avec
derrière mes bidouillages,
ma superbe voix, quelques pas de
danse dont j'ai le secret et le
funk torride qui me caractérise,
ça m'étonnerait que
ça fasse pas un malheur.
Et...
"The Artist" ?
Vu que "Prince" ça
n'était pas en fait assez
expressif, j'ai pris "The Artist".
Ca
veut dire quoi ?
"The", ça veut
dire quelque chose comme the one
and only. En fait, Prince, Love
symbol... enfin me myself and I,
c'est L'artiste !
Vous
avez quand même un nom, non
?
Oui, mais à force il m'arrive
de l'oublier.
Ca
se comprend un peu.
Je suis parfois obligé de
le chercher dans mes papiers quand
j'en ai besoin.
C'est
quoi ?
Prince Roger Nelson.
Roger
? Moi, ça me fait penser
à mon beau-frère qui
est président du club des
fougueux supporteurs biturés
du FC Trouduc-sur-Gnôle.
Ah bon ?
Oui,
mais d'un autre côté,
Nelson, c'est le nom d'un amiral
anglais vainqueur à Trafalgar
contre la marine de Napoléon.
Ca me plaît assez. Du coup,
je me demande si je vais pas prendre
un autre pseudo.
Si
je peux me permettre, votre majesté,
n'est-ce pas un peu trop ?
Pas du tout. Et ce sera peut-être
TAFKALSNPRN.
Ca
veut dire quoi ?
The Artist Formerly Know As Love
Symbol Named Prince Roger Nelson.
C'est
pas un peu long, cher The Artist
?
C'est vrai que ça risque
de pas rentrer sur les pochettes
de disques. Finalement, je vais
peut-être garder que Nelson.
Là,
au contraire, très grand
Symbol Of Love, ça risque
d'être un peu trop court et
pas vraiment représentatif
de l'immense artiste que vous êtes.
Je le pense aussi.
Toute
cette splendeur, c'est pas un peu
usant à la longue, votre
excellence ?
Ah, non ! Tu sais, la splendeur,
c'est peu comme la course à
pied. Au début, c'est assez
difficile, on a un peu de mal mais
avec l'entraînement, ça
devient facile et même agréable.
Tu saisis ?
Non...
Récemment on vous a vu dans
un immense stade archi-comble. Pourquoi
?
Parce que dans les salles on arrivait
plus à rentrer tous les gens
qui veulent me voir. C'est ça
le succès non démenti
de Love Symbol.
Pourquoi
avoir joué si peu de temps
?
Il y avait une trentaine d'excités
casqués et rembourrés
qui ont envahi la pelouse. De vrais
fans. Du coup j'ai préféré
écourter mon show. Et comme
ils commençaient à
s'emmerder sans moi, ils ont pris
un ballon tout tordu et ont joué
à se taper dessus.
Ca
vous a plu ?
Pas du tout. Cet amoncellement de
viande, c'était d'un vulgaire.
Il
paraît qu'à moment
donné des millions de téléspectateurs
vous ont vu en ombre chinoise dans
une position sans équivoque
avec votre guitare. Pourquoi cette
attitude ?
Parce que si Love Symbol c'est l'amour
et la beauté qui font se
pâmer les foules, c'est aussi
The artist qui en a une grosse.
Euh...
une grosse ?
Oui, une grosse guitare. C'est important
de la montrer pour qu'on sache bien
que Love Symbol ce n'est pas que
de la guimauve qui fait pleurer
les jouvencelles frémissant
de romantisme. C'est aussi ces rythmes
effrénés qui font
transpirer les corps s'agitant sur
les dancefloors de la planète.
C'est
tout ça Love Symbol ?
Oui. Et sans ça, ce ne serait
que Prince. Ou Roger Nelson. Et
peut-être même Roger
tout court.
Ce
ne serait pas grand chose.
Tu l'as dit bouffi.
Love
Symbol, quel est votre mot préféré
?
Pognon. Ca sonne bien et ça
fait des valseuses en or.
Un
dernier mot pour terminer, Monseigneur
?
Oui, si tu veux.
Ah,
non, là, je m'excuse mais
ça fait quatre.
Alors, Prince, du haut de sa majesté,
m'a fait visiter son palais, sa
salle de projection, ses 3121 chambres,
son gigantesque home-studio, sa
salle de gym climatisée,
le hangar où il range ses
disques d'or, sa piscine intérieure
olympique, sa salle de bains avec
jacuzzi, son immense cave à
vins, sa cuisine et même ses
chiottes en or massif. Puis, comme
le jour déclinait face à
tant de magnificence, il me jeta
dehors déclarant qu'il avait
autre chose à faire que de
continuer à répondre
à des questions aussi cons.
Alors, accompagné par un
ensemble de 3121 musiciens, une
compagnie de pom-pom girls, une
armada de photographes et deux haies
de spectateurs en liesse qui lui
jetaient dans une ferveur non feinte
des gerbes de roses, il disparut
au loin, petit mais impérial
et superbe, conduit sur un palaquin
que portaient une douzaine de superbes
femmes à moitié à
poil. Je restai pétrifié,
seul dans ce lieu magique où
soufflait encore l'esprit de Prince...
enfin, de The Artist ou peut-être
même de Roger Nelson. Encore
prosterné sur le palier je
tentais de grapiller sur le sol
marbré quelques restes improbables
du sauciflard de Love Symbol.
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