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Philippe Manoeuvre
L'interview



Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant rock-critic Philippe Manoeuvre. C'était l'autre jour, à une de ces heures pâles de la nuit, près d'une machine à sous, avec des lunettes noires, un blouson à la con et un tee-shirt Iggy Pop du plus mauvais effet (lui, pas moi, faut pas déconner). Manoeuvre avait cet air aussi inspiré qu'un Little Bob en pré-retraite qu'il trimballe un peu partout depuis la sortie du premier album des Stones. Heureusement il faisait plutôt sombre.


Alors, ça va, Keith ?

Non, moi, c'est Philippe.

Oui, je sais mais je parlais de Keith Richards.
Il va bien.

Et vous ?
Ca peut aller. Mais pendant quelques temps, avant que Keith se rétablisse après sa chute, j'avais plein de douleurs partout.

Ca faisait mal ?
Oui, surtout quand j'allais au resto chinois bouffer des crevettes en soufflé de beignets à la noix de coco.

Philippe, je me suis laissé dire que grâce à vous, certains se sont rendus compte que le rock c'est souvent de la merde. Est-ce vrai ?
Oui et ils ont aussi connu les Stones par la même occasion.

Votre dernier livre s'appelle Dur à cuir. C'est vous qui avez trouvé ce titre ?
Bien sûr... Bon, d'accord, ça n'a pas été facile et je sais pas si finalement on me l'a pas soufflé mais j'en suis pas peu fier.

A part ce titre, y'a quelque chose d'intéressant dans ce bouquin ?
En fait, plein de choses... Et ma photo en couverture.

Il faut ça.
Bien sûr... Et dur.... Et en cuir.

On y trouve des entretiens avec des rock-stars qui n'ont rien à dire ?
Oui, mais pas avec Jagger.

Ah bon, pourquoi ? Il a quelque chose à dire ?
Non, je l'avais gardé pour mon autre bouquin nommé Stoned - Vingt ans de confidences.

Ce dernier livre, ne montre-t-il pas que vous avez, en plus d'un blouson assez ringard, une sacrée constance ?
En effet. Tirer quelque chose de gus comme Jagger et sa clique pendant vingt ans, j'avoue que c'est pas une mince performance et je suis le seul à y être arrivé.

Vingt ans, n'est-ce pas un peu juste vu qu'ils continuaient à tourner pas plus tard que la semaine dernière ?
C'est vrai. D'ailleurs je compte sortir un tome 2 dans quelques années nommé Very stoned - soixante ans de confidences. C'est sûr qu'avec eux, j'ai encore de quoi faire.

Récemment, vous avez écrit un bouquin nommé Rock'n'Roll : la discothèque idéale : 101 disques qui ont changé le monde. Pourquoi cent un ?
Parce que quatre-vingt dix-neuf ça fait pas assez. Cent, ça a un air de définitif. Et comme je compte encore en sortir un autre, "cent un", c'était mieux.

Ca s'appellera comment le suivant ?
Rock'n"Roll : la discothèque idéale : 102 disques qui n'ont pas changé grand chose.

Ce seront les mêmes ?
Bien sûr. Mais avec un cd récent des Stones en plus.

Quoi d'autre ?
Plus tard, je sortirai sans doute Rock'n'Roll : la discothèque idéale : les 103 disques qui ont changé Philippe Manoeuvre. Avec moi en couverture.

Avec un nouveau look ?
Sûrement pas, sinon, je risquerais de n'être plus moi-même.

Ce serait dommage.
En effet.

Il y aura les mêmes disques ?
Sûrement pas. Cette fois-ci, j'y mettrai tous ceux des Stones.

Vous les écoutez vraiment, les Stones ?
Bien sûr. Je suis pas du genre à faire semblant. Et puis, ce sont quelque part les plus grands.

Philippe, le rock a-t-il vraiment changé le monde ?
Bien sûr. D'ailleurs sans lui, il n'y aurait pas eu Manoeuvre, c'est pas une preuve ça ?

Non... Il paraît que vous êtes né le jour où est sorti le premier 45 tours de Presley. Qu'en est-il exactement ?
C'est vrai mais faut quand même savoir que ce jour-là, dans ma famille, on a plus parlé de moi que de Presley si ça peut vous rassurer.

Y a-t-il depuis, une rue Philippe Manoeuvre dans votre ville de naissance ?
Non, mais pas de rue Elvis Presley non plus. Ca me console.

J'ai lu quelque part que Manoeuvre rime avec sexe, drogue et rock'n'roll. Est-ce vrai ?
Pas du tout. Ca rime avec couleuvre et même pieuvre si vous voulez. Mais, moi, je pense plutôt que ça rime avec chef-d'oeuvre que je vais pas tarder à écrire d'ailleurs si je me décide à écouter de la musique et que je trouve un nègre.

Philippe, peut-on être rock'n'roll après cinquante berges ?
Si vous dites ça pour mon pote Patrick, c'est pas très sympa.

Patrick ?
Oui. Celui qui a écrit dans la même revue que moi un truc sur Juliette Gréco. C'est pas rock'n'roll, ça ?

Non... A propos de revue, plus de 200 pages sur le rock, une fois par mois, c'est pas un peu excessif ?
Bien sûr. Mais, en ce moment, je réfléchis à un super concept, nettement plus fort : un confetti de deux pages bi-annuel écrit par moi bien sûr où je parlerai un peu du nouveau meilleur groupe de rock du monde du semestre et du disque des Stones qui a changé la rédaction de la revue. L'idée suit son chemin.

Il paraît que jadis le groupe The Stranglers vous avait attaché au premier étage de la Tour Eiffel et que récemment le groupe The Hatepinks vous a dédié une chanson au titre sans équivoque : Philippe Manoeuvre is a piece of shit. C'est vrai tout ça ?
Absolument. A propos de la Tour Eiffel, c'était un peu normal. Je souffre du vertige. Sans eux, je serais tombé dans le vide.

C'eut été regrettable.
Je vous le fais pas dire.

Vous êtes resté longtemps attaché à ce premier étage ?
Une nuit complète et je peux vous dire que je me suis bigrement gelé les choses. Encore que, si j'avais eu mon baladeur avec un best of des Stones, ça aurait pu le faire. Heureusement le lendemain matin, des Japonais m'ont délivré après une bonne heure où ils n'ont rien fait qu'à me prendre en photo.

Pourquoi ? Vous êtes connu chez eux ?
Pas du tout. Ils croyaient que je faisais partie des attractions du lieu.

Et pour la chanson ?
On dirait pas comme ça mais The Hatepinks, c'est des potes. Mais comme ils veulent réussir sans mon aide, ils ont préféré jouer la subversion, la provoc, le second degré même. C'est ça aussi être rock'n'roll.

Ah bon ?
Parfaitement. Et je les remercie. Une chanson de rock sur moi, c'est super ! Bien que j'aurais préféré que ce soit les Stones qui le fassent. Un truc comme It's only Manoeuvre but I like it par exemple, ce serait génial, non ?

Non... On m'a dit qu'on peut vous voir en ce moment dans une émission culturelle à la télé. Je crois que c'est Esprits libres, arrêtez-moi si je me trompe.
Non. Il s'agit de La nouvelle star.

Ah oui... En quoi ça consiste ?
Eh bien, y'a moi qui comme d'habitude décide qui va devenir une star comme je l'ai fait pour les Stones.

Ah bon, c'était vous ?
Je veux, oui.

Philippe, pourquoi ces lunettes noires ? Vous dormez avec ?
Pas du tout. En fait, je les quitte la nuit.

Elles vous servent à rien la nuit ?
Non car plus personne ne me voit.

C'est pour le look alors ?
Vous avez tout compris. Manoeuvre sans lunettes, c'est comme AC/DC sans short, Oasis sans coupe de cheveux à la con, Jagger sans silicone, Muse sans Bellamy, Milan San Rémo...

Ah, c'est très drôle !
C'est vrai, j'ai un sacré sens de l'humour. Figurez-vous que je fais se bidonner tout le monde à la rédaction de mon journal. Et croyez-moi, vu les disques merdiques qu'on doit faire semblant d'aimer, ça fait du bien. L'autre jour j'ai même fait rigoler Thom.

Cruise ?
Non, l'autre, le mal coiffé pleurnichard... Bref si je quitte mes lunettes, je suis plus rien. Vous voulez voir ?

Oui, un peu.

Il quitte alors ses sempiternelles lunettes noires...

Ah oui, c'est vrai... Philippe, vous êtes aussi à la téloche quand il s'agit de parler de rock. Pourquoi donc ? N'y a-t-il pas quelqu'un d'autre apte à le faire ? Est-ce du copinage ?
Pas du tout. Qu'est-ce que vous allez chercher là. C'est tout simplement parce que je connais tout sur le rock.

Tout ?
Parfaitement. Et si vous voulez vérifier, vous avez qu'à me poser quelques questions.

Je vais essayer.
Quand vous voulez.

Bon... alors, comment s'appelait le guitariste de Led Zeppelin ?
C'était pas Brian Jones ?

C'était pas.
Euh, alors, c'est... Putain, j'ai un trou.

Ca arrive à tout le monde, moi-même j'en ai.
Hein ?

On essaie une deuxième si vous voulez ?
Ah oui, une deuxième.

Qui a composé "Like a rolling stone" ?
Merde, je le savais... C'est pas Mick Jagger ?

Non.
Keith Richards ?

Sûrement pas.
Ah, c'est con.

Oui, c'est con.
On essaie encore ?

Une dernière. Mais parce que c'est vous.
Merci.

Bon, alors citez-moi au moins un album d'Hendrix.
Attendez, je réfléchis un peu... Après tout, c'est pas facile. Sticky fingers ? Non ?

Pas du tout.
Putain, je comprends pas ce que j'ai, ce soir. D'habitude, je sais tout. Je connais même les cent un disques qui ont changé le monde. C'est dire.

Cent un, c'est peut-être pas assez.
On essaie encore ?

Non, j'ai plus le temps. Je dois encore aller interviewer un journaleux des inrockmachinchose.
Allez, une dernière question pour la route, s'il vous plaît !

Ta gueule !


Puis, j'ai voulu quitter le bar, non sans mal. Manoeuvre s'accrochait à moi, réclamant encore une question. Une fois dehors et grâce à l'aide du bistrotier équipé d'une grosse corde, je réussis à me débarrasser de Manoeuvre en l'attachant à un horodateur. Après, je suis parti à pied. Plus loin, bien plus loin et par intermittences, comme j'avançais dans le dédale de rues sombres et silencieuses, je percevais encore ses cris. Qui n'a pas entendu les hurlements d'un rock-critic dans la nuit noire n'a rien entendu. C'était horrible.

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l'image du jour
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Fan un jour, fan toujours !

Le petit Philou est super content : il a réussi enfin à se procurer un bout des restes du papier chiotte de Jagger.