ACCUEiL

DiSQUES

CHRONiQUES MUSiCALES

AUtRES

Peter Gabriel
L'interview




Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant Peter Gabriel. Il m'avait donné rendez-vous dans un pub de Londres. Vers Trafalgar square, je le vis dans une manifestation d'indépendantistes des Cornouailles. Perdu au milieu d'une petite dizaine de personnes brandissant des banderoles, il me cria de l'attendre à l'intérieur du pub le plus proche.


Alors Peter vous êtes toujours engagé dans les nobles causes à ce que je vois !
Vous n'y êtes pas du tout ! Je venais de passer chez un disquaire pour acheter une rareté de rock progressif, la version vinyl rose du premier album de Genesis.

C'est intéressant ?
Pas vraiment mais c'est un bon placement.

Que faisiez-vous donc dans cet attroupement ?
Eh bien, avant notre rendez-vous je me suis retrouvé malgré moi au milieu de cette manif' à la con.

Pourtant je vous ai vu défiler avec une banderole.
Y'avait un mec qui m'avait demandé de la lui tenir pendant qu'il relaçait sa chaussure.

Ah bon ?
Parfaitement. Et j'ai eu du mal à quitter ce petit groupe de manifestants des Cornouailles.

Vous pensez quoi de leurs revendications ?
Faut être nul pour réclamer l'indépendance de quelques arpents de genêts et de landes parsemés de tas de cailloux. Et puis ici ça s'appelle "le royaume uni", c'est pas pour rien.

Peter êtes-vous toujours un artiste dans son temps ?
Plus que jamais et surtout dès demain matin. Vous savez, le temps avance si vite que si vous faites pas attention vous devenez vite ringard. Vous me voyez encore chanteur d'un groupe comme Genesis avec des fleurs à la con autour du visage ?

Eh… non.
Moi nous plus. Faut évoluer. Je le disais pas plus tard qu'hier à Youssef M'Bobo.

Qui ça ?
Un super chanteur malien. Il danse et chante en racontant la misère de son peuple tout en tapant d'une main comme un dératé sur un tam-tam alors que de l'autre il joue du Kankangui.

C'est quoi ça ?
Une trompette du Bénin.

Ca a l'air intéressant.
Je sais pas, j'y comprends rien à la musique africaine. En tout cas, c'est super authentique. Je crois que je vais l'inviter pour mon prochain spectacle.

Parlez-nous un peu de Real World.
Real World est un concept hyper-puissant que j'ai inventé un soir où j'avais une inspiration pas possible.

En quoi ça consiste ?
Il s'agit d'enregistrer plein d'artistes africains.

Qu'est-ce qu'ils font comme musique ?
De la world-music.

C'est quoi ça ?
Au départ ce mot veut rien dire du tout.

Ah bon ?
Exactement. Mais faut savoir quand même que sans cette appellation et moi-même personne écouterait leur musique. Alors pour que ces musiciens vendent un peu, je les fais jouer dans mes shows. En échange, à la fin du concert, ils sont obligés de chanter avec moi tous en chœur :

Biko, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, Biko !

Qu'en pensent vos fans ?
Du moment que c'est moi qui leur balance, ils trouvent ça génial.

Comment réagissez-vous face au groupe The musical box qui refait Genesis sur scène ?
Je les ai vus une fois. C'était très nostalgique. Et impitoyable.

Ah bon ?
Ca me rappelle à quel point on était mauvais.

Là, je vous trouve très dur, Peter.
Pas du tout. Je suis simplement réaliste.

Pourtant vous n'étiez pas si mauvais que ça, du moins dans vos tenues de scène.
C'est vrai, faut bien le reconnaître. Je sauvais à moi tout seul le show. Surtout dans mon déguisement de renard.

En effet. D'ailleurs The Musical Box reprend les mêmes jeux de scène.
C'est pas mal c'est sûr. En tout cas, c'est un spectacle hyper-pratique.

Comment ça ?
Comme je sais plus où j'ai foutu mes vieux super 8, ça m'évitera de les chercher pour les montrer à mes petits enfants. Je les emmène au spectacle, ça suffit.

A propos de spectacle. On vous a vu dans votre dernier show sur une bicyclette.
Là c'était un clin d'œil à Armstrong.

Ah bon ?
J'admire beaucoup ce coureur. C'est lui qui a lancé au sommet de la plus haute montagne du Tour de France, je cite : "Un petit coup de pédale pour moi un grand coup pour l'humanité ". C'est pas fort ça ?

En effet.
En plus sans se mettre en danseuse tout en buvant un coup et sans se doper, faut le faire !

Pourquoi avoir utilisé un ballon lors de votre dernier concert ? Est-ce une métaphore ?
Au contraire, c'est une montgolfière. J'adore ces engins. Quand j'étais jeune j'en avais construit une dans mon jardin.

Ah bon ?
Oui. Y'en avait une en kit dans "Pif gadget".

Dites-nous, Peter, pourquoi vous avez quitté Genesis il y a une trentaine d'années ?
Je voulais continuer de faire du rock progressif.

Ah bon ?
Absolument.

Et les autres ?
Ils voulaient faire de la variété.

Ce n'était sûrement pas une bonne idée.
C'est sûr. Et ça leur a pas vraiment réussi. En plus, vous me voyez finir comme Phil Collins et passer à la starac ?

Euh… oui. Peter, vous faites encore du progressif ?
Plus maintenant. Je me vois mal chanter un truc hyper chiant de 25 minutes du style "Supper's ready" avec à la fin des chanteurs africains qui hurlent :

Biko, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, Biko !

Ce serait sympa, non ?
Non.

Pourtant, le titre de votre cd "Up" laissait à penser que vous progressiez derechef ?
C'est vrai que certains ont cru y voir quelque chose de progressif. Mais il n'en est rien, bien sûr. Si j'avais voulu faire du prog, je l'aurais appelé sans doute "Down".

Après "So", "Us", "Up" allez-vous continuer à donner un titre de deux lettres à vos oeuvres ?
Bien sûr. j'ai beaucoup réfléchi avant de nommer mes albums. On m'avait reproché à juste titre de n'avoir pas nommé mes quatre premiers albums, aussi je me devais d'innover.

Pourquoi "So" ?
Ca veut rien dire en fait.

Ah bon ?
Absolument. Mais c'était pas gratuit. J'étais parti du principe que plus c'est court plus c'est bon.

Comment ça ?
Eh bien, dans le temps avec Genesis, on avait fait un truc au titre pas possible.

Quoi donc ?
"The lamb lies down on Broadway". C'était beaucoup trop long, trop compliqué. Et c'est quelque part pour ça qu'il n'a pas eu le succès escompté.

Ah bon ?
Oui. Moi, je voulais appeler cet album "The" mais les autres ont trouvé que ça sonnait pas progressif.

C'est sûr... Et comment s'appellera votre prochain album ?
J'ai pas encore trouvé. Comme j'ai utilisé deux fois le "S" et le "U", je vais utiliser une deuxième fois le "P" et le "O". Ca devrait donner un truc comme "Po" ou "Op", je verrai...

Peter, la pluie rouge continue-t-elle à tomber sur vous ?
Plus maintenant, je me suis acheté un parapluie.

Comment expliquez-vous, Peter, le crédit que vous avez toujours eu auprès de la critique ?
C'est simple. Vous arrivez, vous faites votre show, vous ramassez le blé puis vous partez. On vous trouve nul.

Ah bon ?
Parfaitement. Par contre, si vous dites que la guerre c'est laid, si vous vous mobilisez pour les droits de l'homme au Turkistan Occidental, si vous agissez avec la dernière virulence pour que les icebergs fondent pas dans l'Antarctique, si vous amenez sur scène plein de gars du tiers-monde qui chantent tous en choeur :

Biko, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, Biko !

C'est impressionnant !
Vous l'avez dit ! En plus s'ils tapent comme des fous furieux sur des djembés tout en jouant du Mézoued...

C'est quoi ?
Une cornemuse tunisienne... Bref, avec tout ça, vous paraissez déjà moins con qu'une chanteuse de variété.

C'est sûr.
Voyez par exemple des potes à moi comme Sting ou Bono. Ils sont hyper-sympas mais faut bien reconnaître que leur musique c'est de la daube pour beaufs.

Ah bon ?
Sûr. Eh bien, malgré cet handicap, y'en a qui les prennent pour de supers artistes et même pour des intellos.

Allez-vous continuer, Peter, pas plus tard que cette nuit, tel une fière lanterne à inonder de votre lumière étincelante la multitude béate face aux ténèbres glacées d'un monde comme qui dirait en furie ?
Pas forcément. Une lanterne c'est bien mais c'est un peu juste question éclairage. Je vais plutôt continuer dans mon concept développé récemment sur scène.

Comment ça ?
Eh bien, c'est simple. Je vais porter ma veste munie de centaines de lampes plates qui s'allument et s'éteignent comme ça tout le monde me verra. Même les musiciens africains qui reprendront en choeur :

Biko, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, Biko !

Merci, Peter, merci.

Biko, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh...

Merci Peter.

Biko-o-o-o-o-o-ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo... Oh ?

Tu vas la fermer, MERDE !
...

Merci. Comment ferez-vous pour faire marcher tout ça sur les autoroutes tumultueuses de la conscience mondiale, mon cher Peter ?
Facile. Je me suis fait sponsoriser par EDF qui va me fournir un groupe électrogène qui me suivra dans une camionnette.

C'est une bonne idée en effet. Bon voyage alors !
Merci... Je crois qu'il est temps que je prenne la route.


Alors, j'ai quitté Peter à regret... Puis je me suis retrouvé sans m'en rendre compte dans la rue au milieu d'un groupe de manifestants indépendantistes gallois. Quand j'ai commencé à crier sans trop savoir pourquoi "Vive le pays de Galles libre !", un représentant des forces de l'ordre donna un vigoureux coup de matraque sur le crâne de mon voisin gallois. Je me tournai vers l'agent, tout étonné de tant de brutalité. Je lui lançai un "Why ?" sans écho. Il essaya alors de m'asséner un violent un coup de rangers dans les parties. Comme son coup de pied se perdait sur le mollet d'une grosse galloise rouquine qui poussa un épouvantable cri de douleur, je donnai un coup de boule à ce malotru. Il s'écroula. J'eus à peine le temps de crier alors quelque chose comme "Blair facho !" que les troupes d'élite de sa gracieuse majesté intervinrent. Nous fûmes, les quatre gallois et moi-même, incarcérés pour terrorisme à la prison de Londres. C'est de là que j’écris ces mots, un peu à la desperado, espérant qu'un soir Peter Gabriel parlera de moi dans un de ses spectacles pour que le monde entier sache enfin que je suis innocent.