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Patrick Eudeline
L'interview


Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant Patrick Eudeline dans les locaux de la célèbre revue Rock & Folk. J'avoue qu'à l'instant où j'ai pénétré dans ce sanctuaire du rock, j'étais très fier. Au mur, trônaient, comme autant de trophées, les deux cent cinquante et une couvertures de Mick Jagger. Emu, j'avançais d'un pas incertain dans ce panthéon du rock et même - n'ayons pas peur de le dire - du folk où au fil de revues plus pertinentes les unes que les autres, depuis plus de 50 ans, des journalistes avisés sont passés à côté de chefs d'oeuvre et y ont encensé plein de merdes. J'arrivai enfin dans le bureau de Patrick qui me reçut en toute simplicité derrière un nuage de fumée. Un stylo à la main, bien qu'ayant un air très las, il me pria poliment de m'asseoir.


Patrick, j'ai lu quelque part que vous étiez le Gainsbourg du journaliste. Qu'en est-il exactement ?

Faut quand même pas exagérer ! Bon c'est vrai que je lui ressemble un peu. En plus, je fume les mêmes clopes que lui et je me rase rarement... Mais je me suis jamais laissé pousser les oreilles et les planches à pain, c'est vraiment pas mon truc.

Patrick, pourquoi ce nom de "Rock & Folk" ?
A dire vrai, j'en sais rien et je trouve même ça un peu con.

Comment ça ?
Pourquoi "Folk" ? Tu nous vois parler du dernier festival des peuples celtes avec une rubrique "comment entretenir votre biniou" ?

Euh... Pas vraiment.
Je te le fais pas dire. D'ailleurs y'a longtemps que j'aimerais changer le titre.

Vous proposeriez quoi ?
Le rock aura ta peau .

Ouais, c'est pas mal.
Pas mal ? Super, vouais !... Mais, bon, Philippe est pas très chaud...

Candeloro ?
Non, le petit vieux grassouillet qui porte toujours des tee-shirts ringards et confond The Pistols Dolls avec The Dandy Punkies.

Patrick, d'aucuns affirment que vous êtes le meilleur rock-critic du monde. Qu'en pensez-vous ?
J'avoue n'avoir pas le plaisir de connaître ce dokun. En tout cas, une chose est sûre, c'est pas la moitié d'un con.

Comment ça ?
Il a vu juste. Je peux te dire sans modestie puisque c'est vrai : I am the best in the world. D'ailleurs, je peux te poser une question ?

Je vous en prie.
Qui a fait connaître les trois-quarts des plus importants groupes de rock des 30 dernières années ? Hein ?

Euh ?
C'est Eudeline pardi !

Pourtant ils sont tous tombés dans l'oubli.
Pas du tout. Ils sont underground. C'est pas pareil !

Ah bon ?
Parfaitement. Et puis, tu me vois écrire 100 pages sur Madonna ou Jackson ?

Euh... oui.
Euh... moi non plus.

Patrick, où vous voit toujours en colère, prêt à pousser un cri de révolte face à cette époque comme qui dirait terrible. Qu'en est-il exactement ?
C'est vrai. Je ne suis pas à un coup de gueule près... mais, toujours très classe.

Pouvons-nous dire que vous êtes en quelque sorte le dernier Dandy ?
On peut le dire. Pour moi, le look, c'est hyper-important. Mon truc c'est le costard. Surtout du Versace.

Patrick, quel est selon vous le meilleur groupe de rock du monde de cette semaine ?
Ca dépend.

Comment ça ?
Jusqu'à samedi ou dimanche ?

Dimanche.
Difficile à dire. J'hésite entre une bonne trentaine.

Ah bon ?
Oui. Et surtout ceux commençant par "The".

THE Beatles ?
Non mais ça va pas la tête ! Pourquoi pas THE Animals ou THE Herman's Hermits. Ici, t'es à Rock & Folk, mec. Et si on en est au numéro 789 et que même certains des premiers collaborateurs de la revue sont en maison de repos, on est avant tout un truc d'avant-garde. Même que plein de djeuns nous lisent.

Des quoi ?
Des mecs hyper-branchés.

Ah bon ?
Parfaitement.

Patrick, vous êtes une figure emblématique de la critique rock mondiale et je vous pose la question tout de go : "Quel est donc le groupe qui vous interpelle le plus en ce moment ? "
Je dirai The Black Ferdinand Stripes.

Je connais pas.
C'est normal. Ils n'ont rien enregistré. Je les ai vus jouer dans une obscure petite salle de Londres la semaine dernière. Ils font plein de doigts d'honneur et pogotent comme des bêtes. Je pense qu'ils vont faire un malheur sous peu. Je viens d'ailleurs d'écrire une chronique sur eux.

Comment ça s'appelle ?
"Pogotons sous les bombes".

Super, le titre !
Je veux. Et en plus, qu'Eudeline parle d'eux leur donnera un petit coup de pouce.

C'est sûr... Et The Clash Pistols Kennedys, vous en pensez quoi ?
Ils ont un super look. Ils sont punks aussi et représentent une réelle opportunité pour le rock du troisième millénaire qui sera celui d'une nouvelle innocence. Ils ont une saine agressivité et un côté à la fois vital et urgent dans leur message qui me rappelle en vrac De Bussy, Cobain et peut-être même Malher. Ils présagent ainsi de belles ouvertures pour la créativité d'un espace de punkitude qui reste l'expression d'une colère latente... Putain, c'est bon. Permets que je le note pour mon futur bouquin...

Ce sera quoi ?
"L'aventure punk du troisième millénaire".

J'aime beaucoup.
C'est normal. J'ai toujours le sens de la formule.

Pourtant certains affirment ne rien comprendre à vos écrits.
Moi non plus.

Ah bon ?
En effet. j'écris uniquement pour interpeller. Je jette en vrac des expressions au lecteur. A lui de faire le tri et de se faire son propre cheminement vers la culture.

Comment ça ?
J'explique : moi, quand je lisais par exemple dans le temps dans Rock & Folk que Niagara était un des meilleurs groupes de rock des années 80, ça m'a amené vers la découverte de leur musique. Tu piges ?

Non.
Me lire revient au même. Et ceux qui me lisent iront forcément vers quelque chose.

Vers où ?
J'en sais rien. Il faudrait leur demander.

Vous écrivez toujours ?
Plus que jamais. Je viens de sortir "Ecrits rock, Tome 12".

N'est-ce pas trop difficile de passer du format chronique journalistique au roman ?
Sûrement ! En plus, c'est hyper-chiant d'écrire 300 pages sur des groupes que personne n'écoutera jamais à part quelques snobs et un petit groupe d'ados boutonneux.

Ah bon ?
Parfaitement et d'ailleurs j'en ai rien à foutre ! Je peux faire de l'analyse rock comme ça pendant vingt livres !

Comment ça ?
Faut savoir qu'il faut gagner sa croûte. Et pour être franc, j'en ai même un peu ras le bol d'écrire depuis 30 ans.

Vous me surprenez Patrick ! Qu'est-ce qui se passe ?
Rien. Faudrait un peu que tout le monde se rende enfin compte que j'en ai rien à braire de tous ces petites groupes de merde !

Bon... On va arrêter là... Vous êtes fatigué.
Fatigué ? J'en ai marre, ouais ! Franchement, qu'est-ce que ça te fout à toi que ce soit machin ou bidule le meilleur groupe du monde !

Euh... Moi rien, mais c'est votre métier ? Et les Stones, vous en pensez quoi ?
Rien à foutre des Stones ! Depuis quarante ans, ils meublent les couvertures de Rock & Folk. De voir la tronche de Jagger en 251 exemplaires tous les jours en passant dans le couloir, j'en fais des cauchemars chaque nuit. Tellement que le lendemain matin quand je me regarde dans la glace je ressemble à Gainsbourg !

Allons ! Allons !
Je sens que je vais craquer !

Patrick, non ! La déontologie ! Enfin, votre métier ! L'éthique ! La presse !
M'en fous ! Je veux me bourrer la gueule avec un chanteur de black-metal !

Euh... Pourquoi un chanteur de black-metal ?
Parce que j'en connais pas ! Je veux un black-metalleux ! De la bière ! Plein de bière ! Bordel !

Bon ! Bon ! On va se calmer ! C'est un petit spleen de printemps !
Non ! Non ! Non !

Si ! Si ! Bon, allez vous acheter un petit cd de The Strokes puis reposez-vous !
Ben... j'en ai déjà un gratuit de la FNAC !

Quoi ?... Moi, on m'a rien envoyé !
Bah... Je te le donnerai. Je l'ai même pas écouté !

Oh merci !
Pas de quoi... Si on allait se promener torse nu avec des tatouages partout ?

Vous craquez vraiment Patrick, reprenez-vous !
Humm !

Patrick ? Votre travail est de faire de l'analyse rock de qualité ? Que vont penser les Inrocks ?
Bof...

Vous êtes né pour ça Patrick. Vous avez été formé pour ! C'est votre vie que vous le vouliez ou non !
Plus envie !

Patrick ! C'est l'andropause ! Faites-vous marquer un peu de viagra par votre toubib.
Pardon ?

Bon ! Alors, Humm... Que pensez-vous du nouveau groupe dont tout le monde parle The Asphalt Strike Up Jungle ?
Ben... The Asphalt Strike Up Jungle est... indéniablement... le tenant... d'une... nouvelle... esthétique rock... encrée... dans... les... racines... d'une... punkitude... qui...

Plait-il ?
Bof....

Bon. Ecoutez... Je ne connais pas de chanteur de black mais je connais un fan de Cannibal Corpse... alcoolique.
Ah bon ? Si on peut se bourrer la gueule, ça ira !

Ah oui, on peut.. Il est sympa vous savez !
Euh... Je peux y aller avec un tee-shirt de Cannibal Corpse ?

Oui, vous pouvez.
Bon, ben, allons-y ! Y'aura des gonzesses ?

Sans doute !


Alors j'ai chalé Eudeline sur ma mob. Puis nous sommes arrivés chez mon pote black-metalleux. Ce dernier a rapidement sorti les canettes. A la vingtième, on était écroulé sur le sol, la musique à fond. Ensuite, Eudeline a bientôt perdu tout contrôle. Il me semble qu'il gueula même sur le balcon face à la caserne de CRS : " Montrez-vous un peu, bande de tapettes !" Puis il y eut une séance de karaoké improvisée. Quand Josette, la petite amie de mon pote black-metalleux eut fini de chanter, dans le plus simple appareil, un extrait de "Sodomizing the archedangel" d'Anorexia Nervosa, elle s'écroula sur Eudeline qui se perdait dans des borborygmes nauséabonds. Ensuite il fit une version destroy death-metal de son titre "Poly Magoo" avant de glisser malencontreusement sur une canette de bière qui le projeta sur Paulette, une autre copine de mon pote qui vomissait sans retenue. Après, ce fut le trou noir. Quand je me suis réveillé le lendemain matin, j'avoue avoir tout oublié de ce qui s'était passé après la chute d'Eudeline.