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Le rebelle impénitent

Malou Julin
Thomas Paine - un intellectuel d'une
Révolution à l'autre (1737-1809)



"Je ne connais qu'une manière de vivre qui me convienne,
c'est celle de penser, et d'écrire ce que je pense.
"
Thomas Paine

Pourquoi Thomas Paine ? :

Oui, pourquoi ?

Bien que né un 29 janvier 1737, Thomas Paine est le personnage du 22 janvier de mon calendrier. Je le connais depuis dix-sept ans grâce à un jeu vidéo intitulé "Colonization". Pour obtenir des bonus on pouvait s'adjoindre les services d'un "père fondateur" dans différents domaines comme l'exploration, le commerce, la religion ou la politique (où se trouvait Thomas Paine). Grâce à ce jeu, en 1994, et outre Paine, j'ai ajouté à ma panoplie nombre de personnages de l'époque comme Cavelier de la Salle, Hernando de Soto, Francis Drake, Paul Revere, Bartolome de las Casas, William Penn, Peter Minuit, Adam Smith, Peter Stuivesant ou Simon Bolivar. Alors qu'en jouant à Super Mario World, par exemple, je n'ai rien ajouté.

Partie 1 : ANGLETERRE - 1737-1774

1.1 : Les trente-quatre premières années de Paine en dix lignes

Je ne m'attarderai pas sur la jeunesse de Paine parce qu'il y aura beaucoup plus à dire par la suite. Notons cependant qu'il est né Anglais. Il est important de le préciser car Paine n'aura de cesse de changer de nationalité et on n'aura de cesse de le punir de ne pas avoir la bonne. Il est issu d'un milieu modeste, fils d'un corsetier quaker marié au dessus de sa condition. Paine lui-même deviendra corsetier mais a d'autres ambitions sans quoi la bio serait déjà terminée. D'ailleurs ce serait amusant : J'ai lu un bouquin de trois pages sur un mec, il devient corsetier et se fait chier toute sa vie. Point final. Bref, Paine part faire du bateau, se marie, sa femme meurt, il fait faillite puis s'oriente vers l'administration et travaille aux accises (il s'occupe de la taxation), se fait virer, devient prof d'anglais, retourne aux accises, se marie une seconde fois, aide son épouse à vendre du tabac sans quitter son boulot aux accises, refait faillite et, en 1772, écrit son premier texte.

1.2 : Thomas Paine le gauchiste

Nous y voilà. Paine a trente-cinq ans et commence enfin sa vie. Il n'est jamais trop tard. Thomas Paine, jusqu'à sa mort, sera un provocateur, un agitateur, un révolutionnaire et un radical. Toujours il sera en avance sur son temps et souvent personne ne le suivra. En 1772, il écrit simplement pour souligner le ridicule de son salaire d'accisien. Paine est donc syndicaliste sous George III... Quelle drôle d'idée. Convaincu du bien fondé de ses opinions, il part bientôt pour Londres défendre ses idées, rencontre Benjamin Franklin, et à son retour... se fait virer. Pour la troisième fois, Paine fait faillite et, sur sa lancée, se sépare de sa femme en lui abandonnant ses droits sur leurs propriétés. Ici encore, une séparation à l'amiable, au XVIIIe siècle, est totalement improbable. Du coup, Paine restera légalement marié toute sa vie tout en vivant seul et en ne se préoccupant plus du tout des femmes (en apparence tout du moins). Nous sommes en 1774, Paine n'a plus de famille, plus de travail et plus de domicile. Il décide donc de partir en Amérique y ouvrir une école pour l'éducation des filles en un temps où on jugeait la chose inutile et même dangereuse. Eduquer des filles, Thomas, franchement, quelle drôle d'idée !

Partie 2 : LES COLONIES BRITANNIQUES - 1774-1787

2.1 : Pamphlétaire avec deux siècles d'avance

Le 30 novembre 1774, Paine débarque à Philadelphie avec des lettres de recommandations de Benjamin Franklin. A ce moment là, les colonies britanniques sont déjà en ébullition : le massacre de Boston a eu lieu en 1770, la Boston tea party en décembre 73, le premier congrès continental se termine en octobre 74. Les années 70, c'était la classe. Paine, malade à en crever en arrivant, d'abord simple précepteur, fait bientôt la connaissance de l'imprimeur Robert Aitkin qui publie le Pensylvannia magazine. Une révolution en route, une imprimerie à portée de main, Paine écrit ses premiers articles dont un pamphlet contre l'esclavage. "Donnons la citoyenneté aux noirs !" écrit-il. Donner la citoyenneté aux noirs ? Quelle drôle d'idée. Paine rédige également un article pour demander que des droits soient donnés... aux femmes. Gauchiste, anti-esclavagiste et féministe dans les années 1770, nous serions tenter de dire à Paine de ne plus en jeter. Allons, Thomas, ressaisis-toi, la coupe est pleine ! Eh bien ce serait mal connaître le personnage qui milite également pour l'éducation gratuite et le versement d'une allocation de vieillesse. Deux cents trente-cinq ans avant que je manifeste sous des trombes d'eau un samedi d'automne, un anglo-américain se penchait déjà sur l'épineuse question de la retraite.

2.2 : L'indépendance des Etats-Unis, une simple question de bon sens

En 1775, Paine commence l'écriture de son bouquin le plus connu : "Le sens commun", sur une idée de Benjamin Rush. "Common sense" a donc été traduit par "Sens commun". J'ignore s'il s'agit d'une expression courante au XVIIIe siècle mais je ne l'entends plus guère aujourd'hui. Pour ma part, j'aurais opté pour "Le bon sens". Ce qui est écrit par Paine dans son bouquin (je vous invite à vérifier, il ne fait que 56 pages) va dans le sens du "bon sens". Ne pas se soumettre à la couronne britannique tombe sous le sens, refuser une monarchie héréditaire est juste une question de bon sens. You know, dude, it's just a matter of common sense. Bref, son bouquin est un best-seller pour l'époque et est imprimé à 150 000 exemplaires. Paine ne touchera cependant pas un centime, ce qui ne lui donnera pas l'idée de militer pour les droits d'auteur. Quoi qu'il en soit, Paine refusera toujours d'être payé pour "dire la vérité". Quant à la vérité du "Common sense", elle se heurte à la méfiance des Américains. Comme les Français ne seront pas contre une monarchie jusqu'en 1792, les Américains ne sont pas initialement pour l'indépendance. Et critiquer le système monarchique anglais alors considéré comme un exemple pour le monde entier est presque une hérésie. Mais Paine s'en moque. Il est laid, marque mal, picole sans demander son reste et c'est surtout un fonceur. Cet homme a une idée qui est forcément la bonne et file tête baissée. Grand bien lui fasse.

2.3 : La guerre d'Indépendance

La guerre, à proprement parler, débute en avril 1775 et l'idée d'une séparation avec la mère patrie commence à émerger. Lors du second congrès continental, tout le monde a lu Paine et ses écrits influenceront ses décisions (au congrès) et la rédaction de la déclaration d'indépendance. Par ses positions extrêmes, Paine se fait immédiatement des tonnes d'amis et autant d'ennemis (voire plus). D'abord engagé dans l'armée comme correspond de guerre (non rémunéré, évidemment), Paine devient simple journaliste et rédige seize articles patriotiques (jusqu'en 1783), intitulés "Crisis". Son objectif est de propager son idéal d'une révolution pacifique en Europe (pacifique, j'ai bien dit). Benjamin Franklin réceptionne bientôt en France ses deux premiers articles.

En avril 1777, Paine est nommé secrétaire de la commission des affaires étrangères au Congrès. Deux ans après, à la suite d'une arnaque d'un dénommé Silas Deane, Paine se fait virer (encore). Il n'a pas participé à l'arnaque, non, mais afin de prouver la culpabilité de Deane, il a rendu public des documents secrets. Paine est un homme à principes, il faut bien le comprendre, et justice devait être faite. Alors qu'il se retrouve au chômage (encore une fois), Paine refuse un emploi très bien payé en France. Pourquoi refuse-t-il ? Parce que si on lui propose un bon boulot, c'est qu'on l'estime et l'estime lui suffit. Le fou ! Il se retrouve donc à la rue, seul avec "l'estime", devient employé d'un marchand de grains tout en continuant à écrire des articles sur la politique américaine. Il selle son cheval de bataille et lutte logiquement contre la société dirigée par l'argent et la classe possédante. Il était comme ça, Paine, de gauche, résolument.

En 1779, il devient greffier à l'assemblée américaine, rédige le préambule d'une loi contre l'esclavage, s'occupe des taxations pour subvenir aux besoins de l'armée. Rien de bien palpitant. A côté de ça, Il réclame quelques émoluments pour services rendus, auprès de George Washington (qui accepte), du Congrès (qui refuse). Cependant on lui propose de le payer pour écrire une histoire de la Révolution américaine. A nouveau, Paine refuse. Comprenez bien qu'il n'est pas contre le fait de recevoir de l'argent pour ce qu'il a fait mais ne veut pas être payé pour faire quelque chose de nouveau. Le Congrès lui accorde finalement 3000 dollars et l'Assemblée de New York une ferme à New Rochelle. A l'abri du besoin (pour changer), en parallèle de ses articles politiques, Paine se lance dans un projet de construction d'un pont en fer.

Partie 3 : FRANCE - 1787-1802

3.1 : Le pont en fer

Vous pensiez que je vous parlais du pont en ferraille pour faire joli ? Pas du tout. En avril 1787, Thomas Paine quitte les Etats-Unis pour présenter son projet de pont en Europe. Il a alors cinquante ans et ne pense pas s'attarder plus d'une année. En France, il est accueilli comme un héros et est reçu dans tous les salons et tous les cercles, chez Jefferson et Danton où il rencontre Cloots, Adam Smith ou Condorcet avec lequel il partage nombre d'idées avant-gardistes concernant l'esclavage, les femmes, la peine de mort, la démocratie ou le clergé. Et vous vous doutez qu'être contre la peine de mort en période révolutionnaire s'avèrera très problématique pour Paine et surtout pour Condorcet. Je crée le suspense avec élégance, reconnaissez-le. Son pont en ferraille, Paine le présente à l'académie des sciences puis traverse la Manche pour en faire part aux Anglais. Il fera ainsi des voyages successifs en France et en Angleterre jusqu'en 1790. Constatant que les Français se sont engagés dans une révolution démocratique, Paine incite les Anglais à en faire de même.

3.2 : Les droits de l'homme

Inciter les Anglais, c'est bien mais on peut se demander ce qu'ils pensent réellement de la Révolution française. Pas que du bien, a priori. Et si Paine sera invité en Angleterre pour fêter la prise de la Bastille (vous ne l'aviez pas vu venir, celle là), la monarchie britannique se porte très bien. Edmund Burke, d'ailleurs, sort un bouquin dans lequel il traîne la Révolution dans la boue. Qu'à cela ne tienne, Paine lui répond via son deuxième ouvrage majeur : "Droits de l'homme" ("Rights of men"). Encore une fois son livre se vend comme des petits pains en Angleterre et encore plus dans la France révolutionnaire. Encore une fois, Paine ne touche pas un centime, cette fois-ci consciemment. La "vérité" est toujours gratuite. Aux Etats-Unis, cependant, l'accueil est plus modéré. Il devient difficile pour George Washington, alors président et ami de Paine, de le soutenir pleinement alors qu'il tente de recréer des liens avec l'Angleterre monarchiste.

3.3 : Thomas Paine devient Français

En juin 1791, avec ses amis Girondins, Paine crée le Club républicain pour l'instauration d'une république en France. L'année suivante paraît la seconde partie des "Droits de l'homme" dans laquelle Paine demande l'abolition des monarchies. En août 1792, l'Assemblée nationale accorde la citoyenneté française et l'éligibilité à plusieurs étrangers qui ont servi la cause de la Révolution. Après être né Anglais et avoir été Américain, Thomas Paine devient donc Français. Sans même parler la langue et étant alors en Angleterre, il est élu, le mois suivant, à la Convention dans trois départements. Il représentera le Pas-de-Calais.

En Angleterre, pendant ce temps, Paine fait le malin. On parle de lui, on le récompense, il est content. Toujours persuadé d'avoir raison en toute circonstance, il demande encore une fois l'instauration d'une république dans le royaume britannique. Vous pensez que c'en est trop ? Vous avez raison. Les Anglais décident de le traduire en justice et Paine file à l'Anglaise. Et alors qu'il traverse la Manche, j'en profite pour vous parler d'un étrange personnage : Gouverneur Morris. Cet homme devient ambassadeur des Etats-Unis en France en 1792. Je me suis longtemps demandé pourquoi il était toujours appelé Gouverneur Morris ; si c'était un titre de noblesse ou un grade historique, comme le général de Gaulle. Eh bien ce n'est ni l'un, ni l'autre. Figurez-vous que Gouverneur était son prénom, tout simplement.

Enfin, toujours est-il que Morris est un américain royaliste (il y en avait) qui, avec un penchant pour l'Angleterre, écrira des manifestes royalistes pendant que Paine, avec un penchant pour la France, écrira des manifestes républicains. Le 20 septembre 1792, Paine siège à la Convention pour la première fois. Il y est l'un des plus vieux (55 ans), l'un des rares étrangers (ils sont deux) et l'un des rares travailleurs manuels (la plupart sont des juristes ou hommes d'affaires) et surtout, Paine pige rien du tout à ce qu'il se raconte. Il se fait logiquement traduire les discours, notamment par Danton. Thomas Paine est alors au sommet de sa gloire en France et partage même les idées de Robespierre. Tout du moins jusqu'à l'instauration de la Terreur...

3.4 : PAINE vs MARAT : l'ultime combat

En octobre 1792, Paine est membre du comité créé par la Convention pour rédiger une nouvelle constitution avec, parmi les plus connus, Brissot, Condorcet, Siéyès et Danton. Leur projet est mal accueilli, notamment par les jacobins, et rejeté. En parallèle de la rédaction de ce projet de Convention, Paine travaille beaucoup à sauver la tête de Louis XVI. D'ailleurs il ne comprend pas bien comment on peut en vouloir à un homme qui, par sa fuite, à ouvert une voie "royale" à l'instauration d'une république. Sous la Révolution, vous le savez, un principe pouvait t'envoyer à la guillotine. Paine, lui, en est pétri. Contre la peine de mort, il veut donc sauver Louis XVI ; par fidélité et par amitié, il ne réclame pas la chute de La Fayette, contrairement à Marat qui veut la tête d'à peu près tout le monde. Paine hérite donc d'une image encombrante, celle du champion de la clémence. "La clémence ??" devaient se dire quelques enragés, "AH ! AH ! l'imbécile !" A la suite du procès de Louis XVI et contrairement à d'autres, comme Danton, Paine votera selon sa conscience : la détention puis l'exil de Louis XVI une fois la guerre terminée.

En Angleterre, où Paine n'est plus du tout en odeur de sainteté (si tant est qu'il le fut un jour), on lui impute étrangement l'exécution de Louis XVI (?!). Le hasard fait que le jugement du roi en France coïncide avec le jugement de Paine en Angleterre, in absentia, comme un album de Porcupine Tree. Il est finalement déclaré hors-la-loi et l'accès du territoire lui sera interdit. S'il ose tout de même mettre les pieds en Angleterre, il se retrouvera à la Tour de Londres puis sa tête finira sur le billot. Seulement si Paine passe pour trop extrémiste en Angleterre, il est bien trop modéré pour la France de 1793. Marat, encore, demande sa démission pour avoir soutenu Louis XVI. "Les Français sont fous de tolérer des étrangers parmi eux", s'exclame Marat qui était Suisse. A ce moment là, Paine sent que le vent tourne légèrement et pas en sa faveur. Il informe Thomas Jefferson (alors secrétaire d'état) d'un probable retour aux Etats-Unis. Et c'est cette intention (non cette décision) de quitter la France - soit une de ses rares marques de faiblesse - qui lui sauvera la mise. Voyant Paine sur le départ, Marat ne prend pas la peine de le mettre sur la liste des Girondins à supprimer. Seulement Paine ne part pas, la Gironde se retrouve en prison et Robespierre fait passer une loi permettant d'arrêter les étrangers transgressant les règles de la république.

3.5 : On n'emporte pas du pinard à la semelle de ses souliers

Une telle loi, évidemment, n'a de raison d'être que pour deux députés : Cloots et Paine. Robespierre et ses gros sabots... Evidemment, vous me rétorquerez peut-être que Cloots et Paine ont reçu tous les deux la nationalité française un an auparavant. Vous avez raison mais ça n'arrange pas les sommités en place. Alors on disait que Cloots est Prussien et Paine Américain. Allez, hop, à la guillotine ! Eh oui, nous approchons de la fin de l'année 1793, Marat est assassiné, la Terreur débute. Où sont donc passés tous les beaux principes révolutionnaires ? Allez savoir.

Alors vous, dans pareil cas, vous n'y réfléchiriez pas à deux fois. Tous vos amis se font arrêtés, la justice est expéditive, la guillotine tourne à plein régime. Vous enfileriez votre manteau et prendriez vos jambes à votre cou en direction du port le plus proche, direction le bout du monde. Déçu et conscient que son rêve de république démocratique en France part en quenouille, Paine a alors l'opportunité de repartir en Amérique, histoire de sauver sa tête. C'est maintenant qu'il faut agir, c'est la dernière chance au dernier moment, comme dans l'Agence tous risques. Mais Paine prend-il le bateau pour traverser l'Atlantique ? NON ! Il préfère picoler. Le con ! Lorsqu'on dit à Danton de fuir Paris pour sauver sa tête, il rétorque qu'on n'emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers. Lorsqu'il est temps pour Paine de prendre la poudre d'escampette... il se bourre la gueule.

Et Robespierre, ma foi, on ne lui dit pas deux fois. Il se met alors en tête de lancer un acte d'accusation contre Paine et la cabbale débute en août 1793. Entre deux verres, Paine commence à sentir comme un courant d'air sur son cou. Alors il se dit qu'il pourrait fuir, enfin. Mais sans parler français, sans doute ne ferait-il pas cent mètres. Et puis fuir, Paine ? Ah ! Soyons sérieux, ce serait contre ses principes. Sans doute sobre, Paine est finalement conscient de l'imminence de son arrestation et donc de sa mort. Il commence alors la rédaction d'un ouvrage sur la religion : "Le siècle de la raison" ("The age of reason"). Eh oui, quand on est penseur et écrivain, son dernier acte consiste à penser et à écrire. C'est comme ça. Le jour de noël 1793, l'exclusion de Paine de la Convention est à l'ordre du jour. Parait-il qu'il a conspiré contre les intérêts de la France et des Etats-Unis, ce qui est évidemment faux. Le lendemain, sans avoir été convoqué, il est jugé coupable à l'unanimité et condamné à mort. Allez, hop, à la guillotine !

3.6 : Paine le taulard étranger

Le 27 décembre, Paine est arrêté et envoyé en prison au palais du Luxembourg. Il y fréquentera Hérault de Séchelles, Fabre d'Eglantine, Danton et Desmoulins lorsque les Dantonistes seront internés à leur tour. L'arrestation de Paine provoque une levée de bouclier en France, aux Etats-Unis et même en Angleterre. La Convention, un peu piteuse, recule. Les guillotinés s'enchaînent mais Paine est toujours là, dans sa prison, à écrire son livre. Tant que sa tête reste sur ses épaules, les relations entre la France et les Etats-Unis ne se portent pas trop mal. Quant à Gouverneur Morris (trop drôle le prénom), il tente faiblement de libérer Paine, en vain. Ce dernier, depuis le fond de sa cellule, est persuadé qu'une lettre de son ami George Washington le fera sortir de prison mais elle n'arrivera jamais. C'est finalement le successeur de Morris, James Monroe, qui fera libérer Paine, le 4 novembre 1794. Il retrouve enfin sa liberté après plus de dix mois de détention. Il a 57 ans.

3.7 : Paine le député français

On réclame alors la réhabilitation de Paine et son retour à la Convention. Robespierre n'est plus et cette même Convention qui l'enfermait l'année précédente, le prie maintenant de revenir. Paine retrouve sa place sous les acclamations des députés mais refusera cependant une pension qu'on voulait lui octroyer. Relativement abattu et plutôt blasé, Paine siège de nouveau à la Convention mais sans prendre une grande part aux débats. Il s'oppose à la constitution de 1795 jugée bourgeoise, réclame l'abolition du système héréditaire et le suffrage universel (réservé aux hommes, faut pas abuser). Mais personne ne l'écoute vraiment. Son aura ne brille plus guère et son rôle politique touche à sa fin. En janvier 1796, persuadé qu'il va mourir sous peu, Paine rédige une lettre virulente à l'encontre de George Washington, lui reprochant toujours de ne pas l'avoir sorti de prison deux ans auparavant. On lui fait bien comprendre qu'il serait de bon ton de ne pas rendre cette lettre publique.

En janvier 1797, il publie "Le siècle de la raison". Il s'agit d'un bouquin sur ses croyances religieuses. Paine est déiste ; il croit en un Dieu créateur mais rien de plus. Selon lui Dieu n'intervient pas dans les affaires des hommes et Jésus n'est pas le fils de Dieu. Forcément, l'ouvrage est immédiatement vu comme un plaidoyer pour l'athéisme, ce qu'il n'est pas (on n'est pas athée lorsqu'on croit en un Dieu créateur), et provoque un scandale prodigieux en Angleterre, en France et en Allemagne. Paine est heureux d'être de nouveau sur le devant de la scène même si la plupart des réactions lui sont hostiles. Sur la lancée de son ouvrage, il décide de créer une nouvelle église : les théophilanthropes. Il s'agit d'une église sans clergé. De nouveau en selle, Paine reprend la rédaction d'articles d'économie politique. Il reparle de la fameuse retraite et critique le système monétaire anglais.

3.8 : La déchéance absolue

En 1798, en pleine bourre, Paine décide de rendre publique sa lettre à Washington. La vérité (la vengeance ?) devait être faite, selon lui, mais l'idée demeure saugrenue et cette lettre lui vaut un mépris absolu de la part de la totalité de la population mondiale sans aucune exception. Avec cette lettre et "Le siècle de raison", la popularité de Paine aux Etats-Unis disparait pour toujours. Washington est un intouchable et si le radicalisme politique de Paine arrivait à point nommé dans le siècle des Lumières, son radicalisme religieux était trop en avance sur son temps. Et pourtant, dans son ouvrage, Paine n'attaque aucune religion mais certains concepts sont inattaquables. Il y a 200 ans c'était Dieu, aujourd'hui c'est Dream Theater et Quentin Tarantino. Nous sommes civilisés. Bref, la critique, quoi qu'il en soit, fait vendre et si l'ouvrage est interdit en Angleterre, il circule sous le manteau, est traduit trois fois en Allemand et édité dix fois aux Etats-Unis en une année. Le clergé, quant à lui, est proche de l'apoplexie.

Paine pourrait alors retourner aux Etats-Unis mais préfère rester à Paris dans l'optique d'aider la France à envahir l'Angleterre (?!). Ne rigolez pas, Bonaparte en personne lui rendra visite à domicile pour lui demander des renseignements sur les cotes anglaises. Quant au domicile en question, il est chez les Bonneville, 4 rue du Théâtre Français, à deux pas de l'ancien appartement de feu Camille Desmoulins. En 1799, Paine fait un voyage à Bruges. Pendant son absence, Bonaparte est devenu premier consul. Bonneville, qui partage les idées de son hôte rebelle, écrit contre Bonaparte, le compare à Cromwell, et se fait bien vite jeter au fond d'un cachot. En tant que proche, Paine, dès son retour, est informé que sa conduite est considérée comme irrégulière et qu'il sera expulsé aux Etats-Unis à la première plainte contre lui.

Partie 4 : ETATS-UNIS - 1802-1809

4.1 : Un retour catastrophique

En octobre 1802, Paine rentre finalement aux Etats-Unis, accompagné des Bonneville. Il a 65 ans, c'est une antiquité. Bien avant son arrivée, la presse fédéraliste (donc opposée au gouvernement républicain de Jefferson, ami de Paine) l'accable de tout un tas de propos pas très jolis. On conseille à Paine de se faire discret, ce qu'il fera brièvement. Mais le naturel étant ce qu'il est, Paine se lance de nouveau dans la rédaction d'articles politiques et répond aux attaques lancées contre ses croyances religieuses. Thomas Jefferson prend même conseil auprès de Paine qui contribuera à l'achat de la Louisiane à la France et essayera d'éradiquer l'esclavage à la Nouvelle-Orléans. De retour à Philadelphie, ses anciens amis refusent de lui parler (dont Benjamin Rush, à l'origine du "Sens commun").

En 1803 Paine rédige une lettre "au peuple anglais" dans l'optique d'une invasion française de l'Angleterre à laquelle il souhaite participer (!). Il n'en démordra jamais, les Anglais peuvent et doivent se donner un gouvernement conforme au modèle américain. Cette même année, son pont en fer est refusé par le Congrès. Il fallait bien une conclusion à cette histoire de pont. L'année suivante Paine revient à ses articles sur la religion et met en lumière les contradictions de la doctrine chrétienne. Il commence à se faire vieux, le Thomas. En 1804, la Louisiane demande à entrer dans l'union tout en continuant la pratique de l'esclavage. Paine en fait du petit bois dans un pamphlet. La Louisiane attendra encore huit ans pour faire partie des Etats-Unis.

4.2 : Paine n'existe plus

En 1806, Paine a 67 ans et on lui refuse l'accès aux urnes à New Rochelle car il n'est pas citoyen de l'état de New York. La boucle est finalement bouclée. Il est interdit de séjour en Angleterre sous peine de mort, condamné à mort en France car étranger bien que citoyen français, refusé de vote aux Etats-Unis car Anglais. New Rochelle ne reconnaitra finalement la nationalité de Thomas Paine qu'en 1945 (!).

En janvier 1809 Paine rédige son testament et cède tous ses biens à l'épouse Bonneville. Il demande à être enterré dans un cimetière quaker mais on lui refuse. Il meurt le 8 juin 1809 à 72 ans. Aucun représentant officiel n'est présent à son enterrement. Le New York evening post termine son article sur les obsèques de Thomas Paine ainsi : "... Nous ne connaissons pas son âge, mais il a vécu longtemps, fait quelque bien et beaucoup de mal."

En 1819, un journaliste britannique vole les restes de Thomas Paine. Il pense qu'exposer son corps en Angleterre rappellera ses écrits et ses idées et qu'ainsi la foule sera convaincue qu'une réforme du gouvernement anglais est nécessaire. Ce mec est dingue ! On ne sait pas réellement ce qu'il s'est passé ensuite. Soit le corps fut perdu en mer, soit l'exposition eut lieu et fut un bide. Dans le second cas, le journaliste légua le cadavre à son fils (joli cadeau) qui, en faillite, cède ses biens à un lord chancelier qui jugera les restes de Paine sans valeur. A partir de là, plus personne ne sait où se trouves les ossements de Thomas Paine. Nobody knows and nobody cares.

Conclusion : Thomas le rebelle impénitent

En résumé, Paine était un mec avec des idées et beaucoup de principes. Il était en avance sur son temps et s'est battu, souvent, pour des causes encore parfois d'actualité : la parité hommes/femmes, l'abolition de l'esclavage, l'éducation gratuite, la retraite, l'ONU. Enfin, pas l'ONU à proprement parler mais le concept. Paine est resté un paria pendant une éternité. En 1819 un libraire qui vendaient ses bouquins recevra 1500 livres d'amende et fera trois ans de prison. Un buste de marbre de Paine commandé en 1876 sera refusé par la ville de Philadelphie, installé trente ans plus tard puis retiré, puis exposé ailleurs, puis retiré, pour finalement prendre la poussière depuis 1967 dans le bureau du bibliothécaire de l'American philosophical society.

Et pour que vous vous souveniez que le fond de mon propos était un livre de Malou Julin, je la laisse conclure ma conclusion : "Paine était un rebelle, un agitateur professionnel, un radical fidèle jusqu'au bout de ses principes et de ses convictions, un moderniste, un révolutionnaire par tempérament, tant sur le plan politique que sur le plan religieux. C'est aussi un autodidacte absolu, extrêmement sûr de lui, convaincu de son importance, de la justesse de ses opinions. Mais il lui manque le simple bon sens qui lui permettrait de gérer convenablement ses affaires personnelles. Il ne fait pas fortune, se moque de son apparence physique et de l'effet qu'il produit, boit fréquemment sans trop de modération." Et l'auteur du "Common sense" qui manque de simple bon sens, c'est drôle.