Malou Julin
Thomas
Paine - un intellectuel d'une
Révolution à l'autre
(1737-1809)
"Je
ne connais qu'une manière
de vivre qui me convienne,
c'est celle de penser, et d'écrire
ce que je pense."
Thomas Paine
Pourquoi
Thomas Paine ? :
Oui,
pourquoi ?
Bien
que né un 29 janvier 1737,
Thomas Paine est le personnage
du 22 janvier de mon calendrier.
Je le connais depuis dix-sept
ans grâce à un jeu
vidéo intitulé "Colonization".
Pour obtenir des bonus on pouvait
s'adjoindre les services d'un
"père fondateur"
dans différents domaines
comme l'exploration, le commerce,
la religion ou la politique (où
se trouvait Thomas Paine). Grâce
à ce jeu, en 1994, et outre
Paine, j'ai ajouté à
ma panoplie nombre de personnages
de l'époque comme Cavelier
de la Salle, Hernando de Soto,
Francis Drake, Paul Revere, Bartolome
de las Casas, William Penn, Peter
Minuit, Adam Smith, Peter Stuivesant
ou Simon Bolivar. Alors qu'en
jouant à Super Mario World,
par exemple, je n'ai rien ajouté.
Partie
1 : ANGLETERRE - 1737-1774
1.1
: Les trente-quatre premières
années de Paine en dix
lignes
Je
ne m'attarderai pas sur la jeunesse
de Paine parce qu'il y aura beaucoup
plus à dire par la suite.
Notons cependant qu'il est né
Anglais. Il est important de le
préciser car Paine n'aura
de cesse de changer de nationalité
et on n'aura de cesse de le punir
de ne pas avoir la bonne. Il est
issu d'un milieu modeste, fils
d'un corsetier quaker marié
au dessus de sa condition. Paine
lui-même deviendra corsetier
mais a d'autres ambitions sans
quoi la bio serait déjà
terminée. D'ailleurs ce
serait amusant : J'ai lu un bouquin
de trois pages sur un mec, il
devient corsetier et se fait chier
toute sa vie. Point final. Bref,
Paine part faire du bateau, se
marie, sa femme meurt, il fait
faillite puis s'oriente vers l'administration
et travaille aux accises (il s'occupe
de la taxation), se fait virer,
devient prof d'anglais, retourne
aux accises, se marie une seconde
fois, aide son épouse à
vendre du tabac sans quitter son
boulot aux accises, refait faillite
et, en 1772, écrit son
premier texte.
1.2
: Thomas Paine le gauchiste
Nous
y voilà. Paine a trente-cinq
ans et commence enfin sa vie.
Il n'est jamais trop tard. Thomas
Paine, jusqu'à sa mort,
sera un provocateur, un agitateur,
un révolutionnaire et un
radical. Toujours il sera en avance
sur son temps et souvent personne
ne le suivra. En 1772, il écrit
simplement pour souligner le ridicule
de son salaire d'accisien. Paine
est donc syndicaliste sous George
III... Quelle drôle d'idée.
Convaincu du bien fondé
de ses opinions, il part bientôt
pour Londres défendre ses
idées, rencontre Benjamin
Franklin, et à son retour...
se fait virer. Pour la troisième
fois, Paine fait faillite et,
sur sa lancée, se sépare
de sa femme en lui abandonnant
ses droits sur leurs propriétés.
Ici encore, une séparation
à l'amiable, au XVIIIe
siècle, est totalement
improbable. Du coup, Paine restera
légalement marié
toute sa vie tout en vivant seul
et en ne se préoccupant
plus du tout des femmes (en apparence
tout du moins). Nous sommes en
1774, Paine n'a plus de famille,
plus de travail et plus de domicile.
Il décide donc de partir
en Amérique y ouvrir une
école pour l'éducation
des filles en un temps où
on jugeait la chose inutile et
même dangereuse. Eduquer
des filles, Thomas, franchement,
quelle drôle d'idée
!
Partie
2 : LES COLONIES BRITANNIQUES
- 1774-1787
2.1
: Pamphlétaire avec deux
siècles d'avance
Le
30 novembre 1774, Paine débarque
à Philadelphie avec des
lettres de recommandations de
Benjamin Franklin. A ce moment
là, les colonies britanniques
sont déjà en ébullition
: le massacre de Boston a eu lieu
en 1770, la Boston tea party en
décembre 73, le premier
congrès continental se
termine en octobre 74. Les années
70, c'était la classe.
Paine, malade à en crever
en arrivant, d'abord simple précepteur,
fait bientôt la connaissance
de l'imprimeur Robert Aitkin qui
publie le Pensylvannia magazine.
Une révolution en route,
une imprimerie à portée
de main, Paine écrit ses
premiers articles dont un pamphlet
contre l'esclavage. "Donnons
la citoyenneté aux noirs
!" écrit-il. Donner
la citoyenneté aux noirs
? Quelle drôle d'idée.
Paine rédige également
un article pour demander que des
droits soient donnés...
aux femmes. Gauchiste, anti-esclavagiste
et féministe dans les années
1770, nous serions tenter de dire
à Paine de ne plus en jeter.
Allons, Thomas, ressaisis-toi,
la coupe est pleine ! Eh bien
ce serait mal connaître
le personnage qui milite également
pour l'éducation gratuite
et le versement d'une allocation
de vieillesse. Deux cents trente-cinq
ans avant que je manifeste sous
des trombes d'eau un samedi d'automne,
un anglo-américain se penchait
déjà sur l'épineuse
question de la retraite.
2.2
: L'indépendance des Etats-Unis,
une simple question de bon sens
En
1775, Paine commence l'écriture
de son bouquin le plus connu :
"Le sens commun",
sur une idée de Benjamin
Rush. "Common sense"
a donc été traduit
par "Sens commun".
J'ignore s'il s'agit d'une expression
courante au XVIIIe siècle
mais je ne l'entends plus guère
aujourd'hui. Pour ma part, j'aurais
opté pour "Le
bon sens". Ce qui
est écrit par Paine dans
son bouquin (je vous invite à
vérifier, il ne fait que
56 pages) va dans le sens du "bon
sens". Ne pas se soumettre
à la couronne britannique
tombe sous le sens, refuser une
monarchie héréditaire
est juste une question de bon
sens. You know, dude, it's just
a matter of common sense. Bref,
son bouquin est un best-seller
pour l'époque et est imprimé
à 150 000 exemplaires.
Paine ne touchera cependant pas
un centime, ce qui ne lui donnera
pas l'idée de militer pour
les droits d'auteur. Quoi qu'il
en soit, Paine refusera toujours
d'être payé pour
"dire la vérité".
Quant à la vérité
du "Common sense",
elle se heurte à la méfiance
des Américains. Comme les
Français ne seront pas
contre une monarchie jusqu'en
1792, les Américains ne
sont pas initialement pour l'indépendance.
Et critiquer le système
monarchique anglais alors considéré
comme un exemple pour le monde
entier est presque une hérésie.
Mais Paine s'en moque. Il est
laid, marque mal, picole sans
demander son reste et c'est surtout
un fonceur. Cet homme a une idée
qui est forcément la bonne
et file tête baissée.
Grand bien lui fasse.
2.3
: La guerre d'Indépendance
La guerre, à proprement
parler, débute en avril
1775 et l'idée d'une séparation
avec la mère patrie commence
à émerger. Lors
du second congrès continental,
tout le monde a lu Paine et ses
écrits influenceront ses
décisions (au congrès)
et la rédaction de la déclaration
d'indépendance. Par ses
positions extrêmes, Paine
se fait immédiatement des
tonnes d'amis et autant d'ennemis
(voire plus). D'abord engagé
dans l'armée comme correspond
de guerre (non rémunéré,
évidemment), Paine devient
simple journaliste et rédige
seize articles patriotiques (jusqu'en
1783), intitulés "Crisis".
Son objectif est de propager son
idéal d'une révolution
pacifique en Europe (pacifique,
j'ai bien dit). Benjamin Franklin
réceptionne bientôt
en France ses deux premiers articles.
En
avril 1777, Paine est nommé
secrétaire de la commission
des affaires étrangères
au Congrès. Deux ans après,
à la suite d'une arnaque
d'un dénommé Silas
Deane, Paine se fait virer (encore).
Il n'a pas participé à
l'arnaque, non, mais afin de prouver
la culpabilité de Deane,
il a rendu public des documents
secrets. Paine est un homme à
principes, il faut bien le comprendre,
et justice devait être faite.
Alors qu'il se retrouve au chômage
(encore une fois), Paine refuse
un emploi très bien payé
en France. Pourquoi refuse-t-il
? Parce que si on lui propose
un bon boulot, c'est qu'on l'estime
et l'estime lui suffit. Le fou
! Il se retrouve donc à
la rue, seul avec "l'estime",
devient employé d'un marchand
de grains tout en continuant à
écrire des articles sur
la politique américaine.
Il selle son cheval de bataille
et lutte logiquement contre la
société dirigée
par l'argent et la classe possédante.
Il était comme ça,
Paine, de gauche, résolument.
En
1779, il devient greffier à
l'assemblée américaine,
rédige le préambule
d'une loi contre l'esclavage,
s'occupe des taxations pour subvenir
aux besoins de l'armée.
Rien de bien palpitant. A côté
de ça, Il réclame
quelques émoluments pour
services rendus, auprès
de George Washington (qui accepte),
du Congrès (qui refuse).
Cependant on lui propose de le
payer pour écrire une histoire
de la Révolution américaine.
A nouveau, Paine refuse. Comprenez
bien qu'il n'est pas contre le
fait de recevoir de l'argent pour
ce qu'il a fait mais ne veut pas
être payé pour faire
quelque chose de nouveau. Le Congrès
lui accorde finalement 3000 dollars
et l'Assemblée de New York
une ferme à New Rochelle.
A l'abri du besoin (pour changer),
en parallèle de ses articles
politiques, Paine se lance dans
un projet de construction d'un
pont en fer.
Partie
3 : FRANCE - 1787-1802
3.1
: Le pont en fer
Vous
pensiez que je vous parlais du
pont en ferraille pour faire joli
? Pas du tout. En avril 1787,
Thomas Paine quitte les Etats-Unis
pour présenter son projet
de pont en Europe. Il a alors
cinquante ans et ne pense pas
s'attarder plus d'une année.
En France, il est accueilli comme
un héros et est reçu
dans tous les salons et tous les
cercles, chez Jefferson et Danton
où il rencontre Cloots,
Adam Smith ou Condorcet avec lequel
il partage nombre d'idées
avant-gardistes concernant l'esclavage,
les femmes, la peine de mort,
la démocratie ou le clergé.
Et vous vous doutez qu'être
contre la peine de mort en période
révolutionnaire s'avèrera
très problématique
pour Paine et surtout pour Condorcet.
Je crée le suspense avec
élégance, reconnaissez-le.
Son pont en ferraille, Paine le
présente à l'académie
des sciences puis traverse la
Manche pour en faire part aux
Anglais. Il fera ainsi des voyages
successifs en France et en Angleterre
jusqu'en 1790. Constatant que
les Français se sont engagés
dans une révolution démocratique,
Paine incite les Anglais à
en faire de même.
3.2
: Les droits de l'homme
Inciter
les Anglais, c'est bien mais on
peut se demander ce qu'ils pensent
réellement de la Révolution
française. Pas que du bien,
a priori. Et si Paine sera invité
en Angleterre pour fêter
la prise de la Bastille (vous
ne l'aviez pas vu venir, celle
là), la monarchie britannique
se porte très bien. Edmund
Burke, d'ailleurs, sort un bouquin
dans lequel il traîne la
Révolution dans la boue.
Qu'à cela ne tienne, Paine
lui répond via son deuxième
ouvrage majeur : "Droits
de l'homme" ("Rights
of men"). Encore
une fois son livre se vend comme
des petits pains en Angleterre
et encore plus dans la France
révolutionnaire. Encore
une fois, Paine ne touche pas
un centime, cette fois-ci consciemment.
La "vérité"
est toujours gratuite. Aux Etats-Unis,
cependant, l'accueil est plus
modéré. Il devient
difficile pour George Washington,
alors président et ami
de Paine, de le soutenir pleinement
alors qu'il tente de recréer
des liens avec l'Angleterre monarchiste.
3.3
: Thomas Paine devient Français
En
juin 1791, avec ses amis Girondins,
Paine crée le Club républicain
pour l'instauration d'une république
en France. L'année suivante
paraît la seconde partie
des "Droits de l'homme"
dans laquelle Paine demande l'abolition
des monarchies. En août
1792, l'Assemblée nationale
accorde la citoyenneté
française et l'éligibilité
à plusieurs étrangers
qui ont servi la cause de la Révolution.
Après être né
Anglais et avoir été
Américain, Thomas Paine
devient donc Français.
Sans même parler la langue
et étant alors en Angleterre,
il est élu, le mois suivant,
à la Convention dans trois
départements. Il représentera
le Pas-de-Calais.
En
Angleterre, pendant ce temps,
Paine fait le malin. On parle
de lui, on le récompense,
il est content. Toujours persuadé
d'avoir raison en toute circonstance,
il demande encore une fois l'instauration
d'une république dans le
royaume britannique. Vous pensez
que c'en est trop ? Vous avez
raison. Les Anglais décident
de le traduire en justice et Paine
file à l'Anglaise. Et alors
qu'il traverse la Manche, j'en
profite pour vous parler d'un
étrange personnage : Gouverneur
Morris. Cet homme devient ambassadeur
des Etats-Unis en France en 1792.
Je me suis longtemps demandé
pourquoi il était toujours
appelé Gouverneur Morris
; si c'était un titre de
noblesse ou un grade historique,
comme le général
de Gaulle. Eh bien ce n'est ni
l'un, ni l'autre. Figurez-vous
que Gouverneur était son
prénom, tout simplement.
Enfin,
toujours est-il que Morris est
un américain royaliste
(il y en avait) qui, avec un penchant
pour l'Angleterre, écrira
des manifestes royalistes pendant
que Paine, avec un penchant pour
la France, écrira des manifestes
républicains. Le 20 septembre
1792, Paine siège à
la Convention pour la première
fois. Il y est l'un des plus vieux
(55 ans), l'un des rares étrangers
(ils sont deux) et l'un des rares
travailleurs manuels (la plupart
sont des juristes ou hommes d'affaires)
et surtout, Paine pige rien du
tout à ce qu'il se raconte.
Il se fait logiquement traduire
les discours, notamment par Danton.
Thomas Paine est alors au sommet
de sa gloire en France et partage
même les idées de
Robespierre. Tout du moins jusqu'à
l'instauration de la Terreur...
3.4
: PAINE vs MARAT : l'ultime combat
En
octobre 1792, Paine est membre
du comité créé
par la Convention pour rédiger
une nouvelle constitution avec,
parmi les plus connus, Brissot,
Condorcet, Siéyès
et Danton. Leur projet est mal
accueilli, notamment par les jacobins,
et rejeté. En parallèle
de la rédaction de ce projet
de Convention, Paine travaille
beaucoup à sauver la tête
de Louis XVI. D'ailleurs il ne
comprend pas bien comment on peut
en vouloir à un homme qui,
par sa fuite, à ouvert
une voie "royale" à
l'instauration d'une république.
Sous la Révolution, vous
le savez, un principe pouvait
t'envoyer à la guillotine.
Paine, lui, en est pétri.
Contre la peine de mort, il veut
donc sauver Louis XVI ; par fidélité
et par amitié, il ne réclame
pas la chute de La Fayette, contrairement
à Marat qui veut la tête
d'à peu près tout
le monde. Paine hérite
donc d'une image encombrante,
celle du champion de la clémence.
"La clémence ??"
devaient se dire quelques
enragés, "AH !
AH ! l'imbécile !"
A la suite du procès de
Louis XVI et contrairement à
d'autres, comme Danton, Paine
votera selon sa conscience : la
détention puis l'exil de
Louis XVI une fois la guerre terminée.
En
Angleterre, où Paine n'est
plus du tout en odeur de sainteté
(si tant est qu'il le fut un jour),
on lui impute étrangement
l'exécution de Louis XVI
(?!). Le hasard fait que le jugement
du roi en France coïncide
avec le jugement de Paine en Angleterre,
in absentia, comme un album de
Porcupine Tree. Il est finalement
déclaré hors-la-loi
et l'accès du territoire
lui sera interdit. S'il ose tout
de même mettre les pieds
en Angleterre, il se retrouvera
à la Tour de Londres puis
sa tête finira sur le billot.
Seulement si Paine passe pour
trop extrémiste en Angleterre,
il est bien trop modéré
pour la France de 1793. Marat,
encore, demande sa démission
pour avoir soutenu Louis XVI.
"Les Français
sont fous de tolérer des
étrangers parmi eux",
s'exclame Marat qui était
Suisse. A ce moment là,
Paine sent que le vent tourne
légèrement et pas
en sa faveur. Il informe Thomas
Jefferson (alors secrétaire
d'état) d'un probable retour
aux Etats-Unis. Et c'est cette
intention (non cette décision)
de quitter la France - soit une
de ses rares marques de faiblesse
- qui lui sauvera la mise. Voyant
Paine sur le départ, Marat
ne prend pas la peine de le mettre
sur la liste des Girondins à
supprimer. Seulement Paine ne
part pas, la Gironde se retrouve
en prison et Robespierre fait
passer une loi permettant d'arrêter
les étrangers transgressant
les règles de la république.
3.5
: On n'emporte pas du pinard à
la semelle de ses souliers
Une
telle loi, évidemment,
n'a de raison d'être que
pour deux députés
: Cloots et Paine. Robespierre
et ses gros sabots... Evidemment,
vous me rétorquerez peut-être
que Cloots et Paine ont reçu
tous les deux la nationalité
française un an auparavant.
Vous avez raison mais ça
n'arrange pas les sommités
en place. Alors on disait que
Cloots est Prussien et Paine Américain.
Allez, hop, à la guillotine
! Eh oui, nous approchons de la
fin de l'année 1793, Marat
est assassiné, la Terreur
débute. Où sont
donc passés tous les beaux
principes révolutionnaires
? Allez savoir.
Alors
vous, dans pareil cas, vous n'y
réfléchiriez pas
à deux fois. Tous vos amis
se font arrêtés,
la justice est expéditive,
la guillotine tourne à
plein régime. Vous enfileriez
votre manteau et prendriez vos
jambes à votre cou en direction
du port le plus proche, direction
le bout du monde. Déçu
et conscient que son rêve
de république démocratique
en France part en quenouille,
Paine a alors l'opportunité
de repartir en Amérique,
histoire de sauver sa tête.
C'est maintenant qu'il faut agir,
c'est la dernière chance
au dernier moment, comme dans
l'Agence tous risques. Mais Paine
prend-il le bateau pour traverser
l'Atlantique ? NON ! Il préfère
picoler. Le con ! Lorsqu'on dit
à Danton de fuir Paris
pour sauver sa tête, il
rétorque qu'on n'emporte
pas la patrie à la semelle
de ses souliers. Lorsqu'il est
temps pour Paine de prendre la
poudre d'escampette... il se bourre
la gueule.
Et
Robespierre, ma foi, on ne lui
dit pas deux fois. Il se met alors
en tête de lancer un acte
d'accusation contre Paine et la
cabbale débute en août
1793. Entre deux verres, Paine
commence à sentir comme
un courant d'air sur son cou.
Alors il se dit qu'il pourrait
fuir, enfin. Mais sans parler
français, sans doute ne
ferait-il pas cent mètres.
Et puis fuir, Paine ? Ah ! Soyons
sérieux, ce serait contre
ses principes. Sans doute sobre,
Paine est finalement conscient
de l'imminence de son arrestation
et donc de sa mort. Il commence
alors la rédaction d'un
ouvrage sur la religion : "Le
siècle de la raison"
("The age of reason").
Eh oui, quand on est penseur et
écrivain, son dernier acte
consiste à penser et à
écrire. C'est comme ça.
Le jour de noël 1793, l'exclusion
de Paine de la Convention est
à l'ordre du jour. Parait-il
qu'il a conspiré contre
les intérêts de la
France et des Etats-Unis, ce qui
est évidemment faux. Le
lendemain, sans avoir été
convoqué, il est jugé
coupable à l'unanimité
et condamné à mort.
Allez, hop, à la guillotine
!
3.6
: Paine le taulard étranger
Le
27 décembre, Paine est
arrêté et envoyé
en prison au palais du Luxembourg.
Il y fréquentera Hérault
de Séchelles, Fabre d'Eglantine,
Danton et Desmoulins lorsque les
Dantonistes seront internés
à leur tour. L'arrestation
de Paine provoque une levée
de bouclier en France, aux Etats-Unis
et même en Angleterre. La
Convention, un peu piteuse, recule.
Les guillotinés s'enchaînent
mais Paine est toujours là,
dans sa prison, à écrire
son livre. Tant que sa tête
reste sur ses épaules,
les relations entre la France
et les Etats-Unis ne se portent
pas trop mal. Quant à Gouverneur
Morris (trop drôle le prénom),
il tente faiblement de libérer
Paine, en vain. Ce dernier, depuis
le fond de sa cellule, est persuadé
qu'une lettre de son ami George
Washington le fera sortir de prison
mais elle n'arrivera jamais. C'est
finalement le successeur de Morris,
James Monroe, qui fera libérer
Paine, le 4 novembre 1794. Il
retrouve enfin sa liberté
après plus de dix mois
de détention. Il a 57 ans.
3.7
: Paine le député
français
On
réclame alors la réhabilitation
de Paine et son retour à
la Convention. Robespierre n'est
plus et cette même Convention
qui l'enfermait l'année
précédente, le prie
maintenant de revenir. Paine retrouve
sa place sous les acclamations
des députés mais
refusera cependant une pension
qu'on voulait lui octroyer. Relativement
abattu et plutôt blasé,
Paine siège de nouveau
à la Convention mais sans
prendre une grande part aux débats.
Il s'oppose à la constitution
de 1795 jugée bourgeoise,
réclame l'abolition du
système héréditaire
et le suffrage universel (réservé
aux hommes, faut pas abuser).
Mais personne ne l'écoute
vraiment. Son aura ne brille plus
guère et son rôle
politique touche à sa fin.
En janvier 1796, persuadé
qu'il va mourir sous peu, Paine
rédige une lettre virulente
à l'encontre de George
Washington, lui reprochant toujours
de ne pas l'avoir sorti de prison
deux ans auparavant. On lui fait
bien comprendre qu'il serait de
bon ton de ne pas rendre cette
lettre publique.
En
janvier 1797, il publie "Le
siècle de la raison".
Il s'agit d'un bouquin sur ses
croyances religieuses. Paine est
déiste ; il croit en un
Dieu créateur mais rien
de plus. Selon lui Dieu n'intervient
pas dans les affaires des hommes
et Jésus n'est pas le fils
de Dieu. Forcément, l'ouvrage
est immédiatement vu comme
un plaidoyer pour l'athéisme,
ce qu'il n'est pas (on n'est pas
athée lorsqu'on croit en
un Dieu créateur), et provoque
un scandale prodigieux en Angleterre,
en France et en Allemagne. Paine
est heureux d'être de nouveau
sur le devant de la scène
même si la plupart des réactions
lui sont hostiles. Sur la lancée
de son ouvrage, il décide
de créer une nouvelle église
: les théophilanthropes.
Il s'agit d'une église
sans clergé. De nouveau
en selle, Paine reprend la rédaction
d'articles d'économie politique.
Il reparle de la fameuse retraite
et critique le système
monétaire anglais.
3.8
: La déchéance absolue
En
1798, en pleine bourre, Paine
décide de rendre publique
sa lettre à Washington.
La vérité (la vengeance
?) devait être faite, selon
lui, mais l'idée demeure
saugrenue et cette lettre lui
vaut un mépris absolu de
la part de la totalité
de la population mondiale sans
aucune exception. Avec cette lettre
et "Le siècle de raison",
la popularité de Paine
aux Etats-Unis disparait pour
toujours. Washington est un intouchable
et si le radicalisme politique
de Paine arrivait à point
nommé dans le siècle
des Lumières, son radicalisme
religieux était trop en
avance sur son temps. Et pourtant,
dans son ouvrage, Paine n'attaque
aucune religion mais certains
concepts sont inattaquables. Il
y a 200 ans c'était Dieu,
aujourd'hui c'est Dream Theater
et Quentin Tarantino. Nous sommes
civilisés. Bref, la critique,
quoi qu'il en soit, fait vendre
et si l'ouvrage est interdit en
Angleterre, il circule sous le
manteau, est traduit trois fois
en Allemand et édité
dix fois aux Etats-Unis en une
année. Le clergé,
quant à lui, est proche
de l'apoplexie.
Paine
pourrait alors retourner aux Etats-Unis
mais préfère rester
à Paris dans l'optique
d'aider la France à envahir
l'Angleterre (?!). Ne rigolez
pas, Bonaparte en personne lui
rendra visite à domicile
pour lui demander des renseignements
sur les cotes anglaises. Quant
au domicile en question, il est
chez les Bonneville, 4 rue du
Théâtre Français,
à deux pas de l'ancien
appartement de feu Camille Desmoulins.
En 1799, Paine fait un voyage
à Bruges. Pendant son absence,
Bonaparte est devenu premier consul.
Bonneville, qui partage les idées
de son hôte rebelle, écrit
contre Bonaparte, le compare à
Cromwell, et se fait bien vite
jeter au fond d'un cachot. En
tant que proche, Paine, dès
son retour, est informé
que sa conduite est considérée
comme irrégulière
et qu'il sera expulsé aux
Etats-Unis à la première
plainte contre lui.
Partie
4 : ETATS-UNIS - 1802-1809
4.1
: Un retour catastrophique
En
octobre 1802, Paine rentre finalement
aux Etats-Unis, accompagné
des Bonneville. Il a 65 ans, c'est
une antiquité. Bien avant
son arrivée, la presse
fédéraliste (donc
opposée au gouvernement
républicain de Jefferson,
ami de Paine) l'accable de tout
un tas de propos pas très
jolis. On conseille à Paine
de se faire discret, ce qu'il
fera brièvement. Mais le
naturel étant ce qu'il
est, Paine se lance de nouveau
dans la rédaction d'articles
politiques et répond aux
attaques lancées contre
ses croyances religieuses. Thomas
Jefferson prend même conseil
auprès de Paine qui contribuera
à l'achat de la Louisiane
à la France et essayera
d'éradiquer l'esclavage
à la Nouvelle-Orléans.
De retour à Philadelphie,
ses anciens amis refusent de lui
parler (dont Benjamin Rush, à
l'origine du "Sens commun").
En
1803 Paine rédige une lettre
"au peuple anglais"
dans l'optique d'une invasion
française de l'Angleterre
à laquelle il souhaite
participer (!). Il n'en démordra
jamais, les Anglais peuvent et
doivent se donner un gouvernement
conforme au modèle américain.
Cette même année,
son pont en fer est refusé
par le Congrès. Il fallait
bien une conclusion à cette
histoire de pont. L'année
suivante Paine revient à
ses articles sur la religion et
met en lumière les contradictions
de la doctrine chrétienne.
Il commence à se faire
vieux, le Thomas. En 1804, la
Louisiane demande à entrer
dans l'union tout en continuant
la pratique de l'esclavage. Paine
en fait du petit bois dans un
pamphlet. La Louisiane attendra
encore huit ans pour faire partie
des Etats-Unis.
4.2
: Paine n'existe plus
En
1806, Paine a 67 ans et on lui
refuse l'accès aux urnes
à New Rochelle car il n'est
pas citoyen de l'état de
New York. La boucle est finalement
bouclée. Il est interdit
de séjour en Angleterre
sous peine de mort, condamné
à mort en France car étranger
bien que citoyen français,
refusé de vote aux Etats-Unis
car Anglais. New Rochelle ne reconnaitra
finalement la nationalité
de Thomas Paine qu'en 1945 (!).
En
janvier 1809 Paine rédige
son testament et cède tous
ses biens à l'épouse
Bonneville. Il demande à
être enterré dans
un cimetière quaker mais
on lui refuse. Il meurt le 8 juin
1809 à 72 ans. Aucun représentant
officiel n'est présent
à son enterrement. Le New
York evening post termine son
article sur les obsèques
de Thomas Paine ainsi : "...
Nous ne connaissons pas son âge,
mais il a vécu longtemps,
fait quelque bien et beaucoup
de mal."
En
1819, un journaliste britannique
vole les restes de Thomas Paine.
Il pense qu'exposer son corps
en Angleterre rappellera ses écrits
et ses idées et qu'ainsi
la foule sera convaincue qu'une
réforme du gouvernement
anglais est nécessaire.
Ce mec est dingue ! On ne sait
pas réellement ce qu'il
s'est passé ensuite. Soit
le corps fut perdu en mer, soit
l'exposition eut lieu et fut un
bide. Dans le second cas, le journaliste
légua le cadavre à
son fils (joli cadeau) qui, en
faillite, cède ses biens
à un lord chancelier qui
jugera les restes de Paine sans
valeur. A partir de là,
plus personne ne sait où
se trouves les ossements de Thomas
Paine. Nobody knows and nobody
cares.
Conclusion
: Thomas le rebelle impénitent
En
résumé, Paine était
un mec avec des idées et
beaucoup de principes. Il était
en avance sur son temps et s'est
battu, souvent, pour des causes
encore parfois d'actualité
: la parité hommes/femmes,
l'abolition de l'esclavage, l'éducation
gratuite, la retraite, l'ONU.
Enfin, pas l'ONU à proprement
parler mais le concept. Paine
est resté un paria pendant
une éternité. En
1819 un libraire qui vendaient
ses bouquins recevra 1500 livres
d'amende et fera trois ans de
prison. Un buste de marbre de
Paine commandé en 1876
sera refusé par la ville
de Philadelphie, installé
trente ans plus tard puis retiré,
puis exposé ailleurs, puis
retiré, pour finalement
prendre la poussière depuis
1967 dans le bureau du bibliothécaire
de l'American philosophical society.
Et
pour que vous vous souveniez que
le fond de mon propos était
un livre de Malou Julin, je la
laisse conclure ma conclusion
: "Paine était
un rebelle, un agitateur professionnel,
un radical fidèle jusqu'au
bout de ses principes et de ses
convictions, un moderniste, un
révolutionnaire par tempérament,
tant sur le plan politique que
sur le plan religieux. C'est aussi
un autodidacte absolu, extrêmement
sûr de lui, convaincu de
son importance, de la justesse
de ses opinions. Mais il lui manque
le simple bon sens qui lui permettrait
de gérer convenablement
ses affaires personnelles. Il
ne fait pas fortune, se moque
de son apparence physique et de
l'effet qu'il produit, boit fréquemment
sans trop de modération."
Et l'auteur du "Common sense"
qui manque de simple bon sens,
c'est drôle.
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