Afin
que tu puisses comprendre au
mieux cette autre grande œuvre
récente de Morse (grand
lui aussi), je me suis permis
d’aller poser à
ce merveilleux artiste quelques
questions lors de son dernier
passage dans mon quartier.
- Vous êtes pas un peu
prolifique ?
- Pas du tout. En fait, je suis
américain.
- Ouais, bon, vous faites des
chiées de disques, pourquoi
?
- Parce que j’ai toujours
des tonnes d’idées,
l’inspiration souvent
capricieuse pour les autres
est constamment ma douce compagne.
Elle me guide sur le dur chemin
de la perfection, du matin au
soir, dès après
le cacao et jusqu'avant le déca
du soir sinon j'arrive pas à
dormir.
- Avec du sucre ?
- Non, avec ma femme.
- J'ai remarqué que sur
votre album il y a écrit
: "The Neal Morse Band".
Est-ce à dire que cette
oeuvre est le fruit d'un labeur
collectif, la conjonction de
talents divers, une réussite
collégiale ?
- Non. C’est juste pour
changer un peu l’appellation.
Morse seul, ça pourrait
lasser à force.
- Expliquez-moi un peu cette
jolie pochette.
- Eh bien, on m’y voit
en train d’essayer d’inventer
la musique avec ma machine hyper
compliquée.
- C’est pas gagné.
- Hein ?
- Et la montagne au fond ?
- C'est la métaphore
de la création, ce moment
délicat qui amène
son lot de difficultés
à escalader. D'ailleurs
un jour à ce sujet je
sais plus si c'est Vincent van
Gogh qui a dit : "La douleur
est l'auxiliaire de la création",
remarquez, c'est peut-être
James Labrie.
- Et ce titre : "The Grand
Experiment", est-ce à
dire que vous expérimentez,
vous essayez autre chose, vous
vous lancez à corps perdu
sur quelques chemins de traverse,
vous osez, vous allez vers de
nouvelles directions ?
- En fait non. C’est juste
pour faire plus intelligent.
D’ailleurs dans ce disque
j’y fais ce que j’ai
toujours fait depuis des plombes.
- Quoi donc ?
- Eh bien, du Morse.
- "Du Morse", vous
dites ?
- Disons pour faire simple que
c'est faire toujours la même
chose sans faire pareil tout
en faisant quelque chose de
semblable à ce qui a
précédé
et qui ressemble quand même
à ce que je fais dans
ce disque.
- C'est fort.
- Je dirai en quelques sorte
: "Le Morse, le Morse,
toujours recommencé"
pour faire à la manière
du poète François
Valéry.
- Vous voulez dire "Paul
Valéry", peut-être,
non ?
- Oui, c'est ça... Et
le tout sans oublier le son
vintage.
- Ringard ?
- Non, vintage. Et avec des
titres à rallonge qui
prennent la tronche pendant
au moins 10 minutes pour le
progueux et des ballades fadasses
pour ma belle-mère.
- C’est gentil pour eux.
- Il faut aimer son prochain.
- C'est tout à votre
honneur.
- Et quand on fait du Morse
on se doit aussi de balancer
quelques clins d'oeil bien sentis
sous forme de résurgences
de musiques plus ou moins connues
car le véritable artiste
crée, même en copiant
comme je le disais si justement
l'autre jour à Mike.
- Oldfield ?
- Non, l'autre, celui qui joue
de la batterie sur mon disque
en faisant du streaching-néo-metal-prog.
- C'est quoi ce truc ?
- Disons qu’il s’agit
de taper comme un dingue le
plus vite possible sur des chiées
de caisses dans le maximum de
barouf.
- Pas fastoche.
- Comme vous dites mais, bon,
je le bride un peu sinon il
serait capable de pourrir mon
disque, ce con.
- Quelles sont ces belles musiques
où vous allez puiser
cette sève bienfaitrice
qui nourrit votre œuvre
admirable.
- Eh bien, les Beatles, Gentle
Giant et peut-être même
Ligeti mais de façon
très fugace.
- Ligeti ?
- J'ai écouté
un de ses albums l'autre soir.
- Après le déca
?
- Oui, mais comme c'était
très fort, du coup j'ai
pas pu dormir.
- Et votre femme ?
- Elle voulait divorcer.
- Et alors ?
- J'ai laissé tomber
Ligeti. Le disque a beau s'appeler
"The Grand Experiment",
faut quand même pas déconner.
- Vous comptez en vendre beaucoup
de ce disque parce que les progueux
et la belle-doche, ça
fait pas bézef quand
on y pense ?
- En fait et aussi paradoxal
que cela puisse paraître,
la majorité des gens
n'écoute pas mes disques.
- C'est étonnant, d'autant
plus que c'est pas faute d'en
sortir régulièrement.
- En effet, mais si les mélomanes
allaient plus nombreux acheter
mes disques, ils s'en vendraient
plus. Comme quoi, le succès
mondial et le nombre de fans,
ça tient à rien.
- Ce sera le mot de la fin.
- Rien ?
- Ouais.