Dans la bien longue série
il-y-a-toujours-un-live-de-Miles-Davis-à-critiquer
voici en cette joyeuse journée
un témoignage de la période
davisienne du début des
années 70 avec Wayne Shorter
(saxophones), Chick Corea (claviers),
Dave Holland ( basse), Jack DeJohnette
(batterie) et Airto Moreira aux
percussions.
La musique, déjà
étonnante en studio, prend
ici une autre dimension, libérée
de toutes contraintes et donc
plus dure. Les thèmes sont
à peine perceptibles (pour
le connaisseur) et totalement
abscons pour l'auditeur non initié
qui oserait, le téméraire,
se lancer dans l'écoute
de ce double cd live non formaté.
Les différents titres ne
sont là que comme prétexte
à de hardies recherches
dans une liberté qui étonne
et déconcerte. Miles et
ses ouailles s 'en donnent à
cœur-joie dans un délire
à peine contrôlé
cherchant un ailleurs musical.
L'un des titres ne s'appelle-t-il
pas fort justement "Directions"
?
Les thèmes s'enchaînent,
s'imbriquent les uns aux autres
comme portés par une énergie
- qu'on a du mal à percevoir
tant elle est énorme -
et dans une orgie de sons barbares
tentant de dépasser les
limites du possible, chacun donnant
l'impression de perdre tout contrôle
de son instrument comme près
du point de rupture. Force est
de constater qu'il est difficile
de suivre Miles Davis dans cette
direction à moins d'être
initié à son œuvre
électrique. De plus, la
qualité du son assez médiocre
peut encore plus rebuter.
Finalement, l'intérêt
de cette parution dont les motivations
profondes ne sont sûrement
pas forcément d'ordre historique,
me semble être de permettre
de mieux comprendre comment Miles
Davis travaillait ses futures
œuvres studios qui semblaient
sorties de nulle part, alors qu'elles
s'ébauchaient sur la scène,
sorte d'atelier de recherche permanente.
Miles Davis prouve bien ici qu'il
a définitivement quitté
les rivages d'un jazz codifié
pour partir vers des terres inconnues
où l'électricité
se mêle aux rythmes africains,
à la soul, à l'univers
hendrixien et sous une rigueur
toute jazzistique, Miles Davis
y ajoutait la sueur du funk et
une certaine forme de transe.
En fin de compte, ce double cd
live est à réservé
aux inconditionnels, bien sûr.
Les autres qui veulent s'initier
à l'œuvre de Miles
Davis devront plutôt faire
le parcours chronologique initiatique
en passant d'abord par les albums
studios, effort gigantesque mais,
oh combien passionnant.
Pour conclure, je dirai qu'en
voyant la pochette de ce live,
il me vient à l'esprit
que si Miles Davis était
encore en vie, il n'aurait sans
doute pas toléré
qu'on sorte cet album sous un
design aussi laid.