Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Matthew Bellamy,
énième couineur de
petite pop anglaise énervée.
Ca s'est passé pas plus tard
que l'autre jour dans la piscine
la plus proche de son domicile.
Après qu'il fût resté
plus de trois minutes au fond, Matthew
ressortit enfin de l'eau tel un
frêle poseïdon de banlieue
essoufflé. Puis, il accepta
de répondre à mes
questions dans la langue de Liam
Gallagher. Mais je te propose ici,
par souci de commodité, une
version en français et sans
accent.
Matthew, pourquoi venir vous plonger
dans ce bouillon de culture ?
C'est pour apprendre à contrôler
mon souffle. Croyez-moi, on en a
besoin quand on chante dans un groupe
tel que Muse.
D'où
vient ce nom "Muse" ?
Cela a-t-il un rapport avec chacune
des neuf Déesses qui présidaient
aux arts libéraux ?
Hein ?
Est-ce
lié à l'inspiration
de l’Artiste ?
En fait, pas du tout. Ca vient simplement
du commencement du rut chez le cerf
qui s'appelle la muse.
Pas
possible ?
Parfaitement ! Avec Muse, on peut
même dire qu'on est pas loin
de l'orgasme.
A
ce point ?
Oui. Et peut-être même
plus... Mais sans les bois.
D'où
vous est venue l'idée d'utiliser
ce nom à la c..., euh...
ce vocable assez original, il faut
bien le dire ?
C'est tout simple en fait. Un jour
qu'on se promenait dans la forêt
à la recherche...
De
la muse ?
Non, de champignons, on a entendu
au loin le brame du cerf et on a
trouvé que ça ressemblait
à ma façon de chanter.
En plus grave bien sûr.
C'est
quoi comme musique, Muse ?
C'est de la pop excitée jouée
en apnée le plus vite possible
et de préférence sans
s'étouffer et garantie sans
chlore.
Ah
bon ?
Oui et même en poussant pleins
de petits cris aigus. Je vous montre
?
Non
merci, j'ai les portugaises sensibles.
Dommage.
Comment
vous réussissez à
chanter comme ça ?
C'est un sacré entraînement.
Oui,
mais ça consiste en quoi
?
C'est tout simple. Quand je suis
dans la piscine, je coince mon pince-nez
dans mon maillot de bain.
Ca
fait mal ?
Pas trop et comme je le dis toujours
: les douleurs légères
s'expriment ; les grandes douleurs
sont muettes.
Belle
formule.
Je veux. En plus, ça fait
plaisir de voir le résultat
au niveau des ventes de nos cds
quand je pense au mal que je me
donne.
Où
vous situez-vous dans le paysage
actuel ?
Entre les vestiaires et le petit
bassin.
Non,
je parlais d'un point de vue musical.
A deux pas de Radiohead.
Vous
en pensez quoi de ce groupe ?
Ils essaient de nous copier, y'a
pas de doute.
Comment
ça ?
Eh bien, le chanteur a même
réussi à être
aussi mal coiffé, petit et
maigrichon que moi, fallait le faire
!
C'est
presque du mimétisme.
Je sais pas, je fais pas de politique.
Quels
sont vos projets, là, tout
de suite ?
Je vais me repiquer une tête
dans la piscine.
N'y
a-t-il pas un risque de pollution
?
Pas du tout ! Je suis garanti authentique,
sans colorant ni additif.
Comme
Muse ?
Pas tout à fait. Muse, c'est
pas forcément que du naturel.
Ca peut être aussi quelques
influences, captées de ci
de là. La science qui fuse,
ça n'existe pas.
Et
un peu plus tard, vous allez faire
quoi ?
Je me prendrai une bonne douche.
Oui,
d'accord. Mais après, disons,
dans les jours qui viennent ?
Je vais continuer à faire
la même chose.
C'est
à dire ?
Faire du Muse. Encore du Muse. Toujours
du Muse.
N'est-ce
pas là en quelque sorte s'éloigner
de l'idée qu'on se fait de
l'artiste, homme libre par excellence,
personnage partant sans cesse vers
des voies non explorées,
chantre qui n'existe qu'à
la condition d'être double
et de n'ignorer aucun phénomène
de sa double nature ?
Hein ? Quoi ? Vous pouvez pas répéter
la question ? J'ai un putain de
mal au crâne... Le chlore
sans doute.
Vous
avez choisi la facilité,
non ?
Vous trouvez que c'est facile, vous,
de manquer chaque fois de s'étouffer
?
Euh...
Muse, c'est du sport de haut niveau.
Faut un sacré entraînement
et quelques sacrifices. En plus
j'ai beaucoup de mérite,
je suis allergique au chlore.
Matthew,
que pensez-vous de cette affirmation
de la grande Laure Manaudou : tout
corps plongé dans l'eau ressort
mouillé ?
Elle a raison. Et je rajouterai
même : parfois avec des verrues
plantaires.
On
vous voit beaucoup dans des clips
vidéo. N'est-ce pas étonnant
pour un groupe qui s'écoute
avant tout ?
Absolument pas. Si je passais tout
le temps au fond de la piscine,
on me verrait plus et c'est sûr
que Muse aurait moins de succès.
Mais d'un autre côté,
j'aurais peut-être plus de
verrues plantaires.
Matthew,
un mot sur vos alter ego musiciens
?
Hein ?
Oui,
les deux gus qui vous accompagnent.
Vous vous entendez bien avec eux
?
Bien sûr. Ce qu'ils réussissent
avec leurs instruments est assez
inouï. Je me demande même
comment ils font tous ces bruits.
Je crois qu'il vont enregistrer
des hardes de cerfs anémiques
en rut pendant la saison des amours.
Ensuite ils remixent le tout avec
un mellotron. Ils ont un matos d'enfer
chez eux. J'y ai même vu un
Amstrad. C'est dire. Résultat
des courses : notre dernier album
vient d'avoir cinq étoiles
à Boucan mag. C'est
pas pour rien.
On
dit que la musique de Muse a de
curieux effets sur l'auditeur. Elle
fait tomber les poils, paraît-il.
J'avoue ne pas savoir. Personnellement
je suis pas très calé
en poils vu que je me rase régulièrement
un peu partout, rapport à
la natation.
Matthew,
je me suis laissé dire que
vos fans vous appellent "Bells".
Qu'en est-il exactement ?
C'est vrai. Mais je sais pas trop
pourquoi. Peut-être que parce
que quand je saute sur scène,
ça fait un drôle de
bruit ou à cause du côté
creux de la chose. Mais faudrait
leur demander.
Ne
s'agit-il pas plutôt d'un
diminutif de votre nom ?
Vous croyez ?
Bien
sûr. Un peu comme si on appellait
Gallagher, "Galle" ou
Yorke, "Yo".
J'y avais pas pensé. Comme
si on appelait Bono, "Bo",
alors ?
Non,
là, ça ne marche pas,
c'est déjà un pseudo.
Son nom commence alors par Bono
?
Pas
du tout.
C'est pas un pseudo ?
Bon...
Matthew, vous pouvez me dire quelle
est l'origine de la symétrie
?
Difficile de répondre. Vous
m'auriez demandé si l'eau
de la piscine est bonne, j'aurais
pu mais là, je regrette.
Une
dernière question avant qu'on
se quitte ?
Demain j'essaierai de tenir plus
de dix minutes sous l'eau, vous
reviendrez ?
Non,
demain, je peux pas, j'ai piscine.
Puis,
avant de quitter ce superbe artiste,
je le vis replonger à nouveau
dans la piscine. Il était
grandiose dans son maillot slip
stretch de bain haut, taille élastique
avec lien de serrage, couleur mauve,
78 % polyamide et 22 % élasthanne.
Alors que je quittai la piscine
Maggie Thatcher et que je rejoignais
la rue Phil Collins, je luttais
contre le vent qui cinglait mon
visage et la pluie qui redoublait
de violence. Plus loin, je me trouvai
dans la gadoue. Je pensai alors
qu'il me faudrait des bottes de
caoutchouc pour patauger dans la
gadoue, la gadoue, la gadoue, la
gadoue... hou la gadoue, la gadoue.
Mais faisant fi des intempéries
qui m'accablaient, j'exultais, ivre
de cette indescriptible jubilation
que m'avait procurée la rencontre
exceptionnelle de ce merveilleux
artiste qui apporte peut-être
plus à la musique que les
oeuvres complètes de Mozart
à un sourd.
|