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Nous fûmes la mèche...

André Matos
Au Hard-Rock Café



Oooooooooooh skies are falling down !
skies are falling down !
Oh wo, wo, skies are falling down !
skies are falling down !

Dernièrement, j’ai appris qu’André Matos passait à Paris pour un mini concert acoustique. A peine avais-je eu vent de la chose que j’étais à genoux pour remercier le ciel de m’avoir ENFIN placé au bon endroit au bon moment. Matos et Zaza Hernandes se produisaient au Hard Rock café, un lieu qui dispense de la vraie musique sordide et malpropre, entre Blondie, les Bee Gees et Kool and the gang. Ainsi n’ai-je pas hésité à souligner l’incongruité de la programmation à une blondinette serveuse qui me rétorqua que le hard rock, le vrai, ne saurait tarder. Puis elle en profita pour nous servir du jus de feuilles de coca à quarante euros le décilitre. Le Hard rock café est un mensonge. C’est le paradis de la falsification, de la tromperie et des faux-semblants. Vous croyez être dans un repère de puants hirsutes qui trinquent à la bière et portent en collier les oreilles de leurs ennemis. Vous pensez y trouver la faune bruyante et malsaine des pires gargotes puantes. Finalement, vous n’avez que quelques vieux hardos sur le retour avec des gilets en cuir Dream Theater et des bacchantes des années 20 et puis, tout autour, une engeance de pseudo-bourgeois ridicules qui se pointent aux concerts de Matos avec les cheveux courts et la chemise, genre… moi. Le Hard rock café n’est pas pour les hard rockeurs mais pour des conditions aisées qui aiment à se croire rebelles. Il y eut bien un bandit des grands chemins qui tenta de faire valoir ses droits en brisant des verres et en faisant voler des os de poulets ; il invectivait ainsi une brune serveuse avec des propos peu galants, et même que d’aucune – de peur d’une balle perdue – préféra changer de place. Eh bien pour vous donner une idée de la détestable bonne ambiance qui règne au Hard rock café, la sécurité fit sortir cet homme !! Moi je vous le dis, c’est la mort du véritable climat délétère. Bientôt nous apprendrons que la chemise de Jimi Hendrix qui est sous verre a été achetée aux puces à la porte de Bagnolet dimanche dernier.

De passage à Marseille, il y a neuf ans maintenant, Timo Kotipelto avait trouvé les gens chauds et en avait déduit que cette chaleur était due à la situation géographique de la ville. Au plus la ville est au sud, au plus les habitants ont le sang qui bout. La dernière fois que j’ai assisté à un mini concert acoustique dans un bar, c’était Edguy à Montpellier et j’en garde l’anecdote de "l’homme qui ne savait pas pourquoi". J’en garde aussi le souvenir d’un public absolument amorphe, apathique, endormi et ridicule. Et pourtant, Montpellier est au sud. La chaleur n’a rien à voir avec l’origine géographique mais, j’imagine, avec le tempérament, ou plutôt avec l’état d’esprit. Je veux bien croire que les jeunes (et les moins jeunes) vont à des concerts pour écouter de la musique mais est-ce une raison pour dormir ? Quoi qu’il en soit, je pense qu’écouter la musique lors d’un concert de heavy metal est une preuve manifeste d’absence de goût (et d’ouïe). En live, le metal est une bouillie sonore. Lorsque la sono est partiellement meilleure (ce qui est rare), le son demeure trop fort. Levez la main ceux qui vont aux concerts sans piper mot, sans broncher, les bras croisés, la mine circonspecte et expliquez-moi.

Si je veux écouter de la musique, moi, je l’écoute dans mon loft (et au casque quand c’est du prog). Ce sont des instants durant lesquels je suis passif et j’apprécie avec les yeux qui brillent le dernier album de Dragonforce. Quand je suis dans la fosse, les musiciens jouent pour moi et je joue pour eux. En concert, c’est donnant-donnant. Si j’étais sur scène, voir des mecs qui me regardent me ferait chier. Si j’étais une rock star, je voudrais que ce soit l’enfer, que les gens se sautent les uns sur les autres et lancent des balais à chiotte et des lapins morts sur scène. Qu’aurais-je à faire d’un public de santons ? Un concert, c’est pas la crèche, putain ! Et encore, je vous dis ça mais je ne suis pas actif, à proprement parler. A part taper dans les mains et chanter, je ne fais rien. Ce n’est pas comme si je demandais la lune. Vous avez payé trente euros, faites les valoir, laissez votre marque, que ces quelques types chevelus venus d’un pays scandinave quelconque se souviennent de leur passage. Pourquoi pensez-vous que Marillion a voulu revenir à Montpellier ? Parce qu’on avait foutu le bordel, pardi !!

Moi j’étais chaud bouillant, hier soir. Je rongeais mon frein depuis une cinquantaine de jours. Lorsque je suis arrivé au Hard rock café, avec ma chemise clinquante de la petite noblesse d’épée, j’ai pu compter sur un allié de circonstance que nous nommerons A. Croyez-moi, il était dans un grand soir ! Même le dernier membre du quatuor d’origine, non encore nommé (et qui ne le sera d’ailleurs pas, nous sommes ici contraints à l’anonymat sans quoi le monde entier saurait que nous allons voir des chanteurs de heavy metal qui portent des chemises à jabot), le dernier membre, disais-je, pourtant un fan de la première heure, capable de reconnaître chaque titre réorchestré car il a l’oreille parfaite et 10/10 à chaque œil, ne pouvait suivre le train infernal que nous imposions. Et d’ailleurs, personne ne le pouvait. Moi je suis un jusqu’au-boutiste de l’émotion ! Si j’étais un chanteur, je serais Jacques Brel mais en moins laid. Le concert, je le vis, à ceci près que celui ci était acoustique. Il était donc possible, a priori, d’écouter. Mais d’écouter quoi ? Eh bien… nous. A. et moi ne chantions pas, nous hurlions. Nous avons mis un bordel du tonnerre de Dieu. Je ne sais même pas si André s’entendait lui-même. Quoi qu’il en soit, moi, je ne l’ai pas entendu. J’étais assis sur le dossier de ma chaise et je l’ai deviné derrière quelques nuques et j’entendais vaguement et périodiquement le son de sa voix. Parce que la sono était – encore une fois – d’une très grande modestie. Si un jour seulement la sono pouvait être pédante et la ramener en nous parlant des Traités de Minorités de la conférence de Paris de 1919, je vous promets que je serais le premier à la féliciter. Mais là, en l’occurrence, elle était extrêmement modeste.

Finalement, le son était un peu à l’image du public. Le public est humble. La peur de perdre le rythme le contraint à glisser ses mains dans ses poches et la crainte de chanter faux (idée qui jamais ne me viendrait, et pourtant…) l’oblige à rester coi. C’est le front plissé et les joues rougies de honte qu’il vient perdre son regard sur ses chaussures. Et au fond, sur la droite, des types mimaient des batteries imaginaires et reprenaient les paroles de "Lisbon" bien après la fin du morceau.

André a joué des vieux titres comme "Make Believe", "Holy Land" ou "Carry On" ainsi que quelques nouveaux morceaux, notamment ceux que je n’aime pas trop ; mais c’est à "Lisbon" que tout a commencé et c’est probablement à "Lisbon" que tout s’est terminé. C’était le point culminant, vous voyez, l’André Matos à son zénith. Chaque fois que j’entends "Lisbon", Matos se lève et j’assiste à une éclipse d’Angra. Avec mes collègues, toujours dans les bons coups en ce lundi soir de grisaille, nous avons redoublé d’énergie. Le Pandémonium, vous voyez ? Eh bien c’était pareil. André sortait son flutiau zarbi dont aucune note ne me parvint et nous, nous chantions comme des damnés et notre abatage créa enfin l’émulation. Sur les autres morceaux, non. Nous baignions dans notre hystérie, frappant dans les mains, chantant à tue-tête et lorsque nous cessions, nous n’avions comme seul écho qu’un silence carrément silencieux. Parfois une fille nous suivait et souriait en nous voyant nous démener, nous autres les nostalgiques de nos vingt ans holylandesques. Mais notre entourage proche restait de marbre. Quand à notre entourage lointain, je lui laisse le bénéfice de la distance sans quoi je me gausserais aussi. Bref, avant "Lisbon", c’était abyssal, le monde du silence. Pour vous donner une idée, nous entendions presque André Matos chanter. Mais sur "Lisbon", ma foi, le morceau aidant, nous fûmes la mèche qui mit le feu aux poudres.

Nous fûmes la mèche, c’est joliment dit.

Un mec du premier rang – pur jusqu’aux confins de son bouc de metalleux – se tourna même vers moi et au lieu de brandir son poing rageur vers la source (soit André Matos), il me l’adressa et… chanta avec moi. Non, celle là, je vous la raconte, c’était mythique ! Les mecs du premier rang chantaient Lisbon avec moi et pas avec ANDRE MATOS ! Ils avaient repéré au cœur de la foule (bien qu’au dessus car sur une chaise) le true evil heavy metal warrior !!

Et pourtant, ma foi, ai-je la dégaine d’un meneur (ou d'un metal warrior) ? Hein, franchement ? Dois-je vraiment être celui qui se met au fond et qui entraîne les autres à se manifester ? Mon rôle sur cette Terre est-il de déplacer les masses ? Est-ce pour cela que je me suis intéressé à Camille Desmoulins ? Dois-je être celui là, moi et mes lunettes d’intello qui renverrait au bac à sable les Sartre, Giraudoux et autre Tchekhov dont les binocles d’un autre temps ont des airs de masques de plongée ?

Je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr, c’est que quatre mètres autour de nous, PERSONNE n’a entendu André Matos. Nous avons littéralement cannibalisé l’espace sonore.

L’un de mes lecteurs m’a réclamé dernièrement un peu plus d’enthousiasme dans mes écrits. Eh bien il est là l’enthousiasme !!