1.
Oui, c'est vrai ça, c'est
quoi donc que c'est ?
Eh
bien, c'est très simple et
je vais illico vous l'expliquer
:
Le
progressif est une musique qui date
d'au moins trente cinq ans et qui
est jouée par des musiciens,
aux cheveux obligatoirement longs,
qui proposent des titres d'au minimum
29 minutes (mais on a le droit de
dépasser les 35 minutes si
l'on veut).
Chaque
morceau doit commencer par une intro
instrumentale de plus de 5 minutes,
12 secondes et 19 centièmes,
faite avec un mellotron doux et
aérien, quelques accords
de guitare à peine perceptibles
et une légère ligne
de basse.
Dans
cette intro, on doit entendre des
oiseaux (de préférence
des mouettes), des bruits de vagues,
un chien qui aboie, un Spitfire
qui s'écrase, un bébé
qui couine et un vieil homme qui
téléphone.
Dans
chaque morceau, il doit y avoir,
qu'on le veuille ou non, un solo
de mellotron - ou de synthé,
tout dépend s'il s'agit de
prog ou de néo-prog -, de
plus de quatorze minutes, avec quelques
citations de Rachmaninov, Moussorgski
et éventuellement Varèse
et le jazz si on fait partie de
l'école de Canterbury (dont
je ne parlerai pas ici car ce serait
trop de boulot et ça vous
gonflerait un peu, ami lecteur,
béotien mais pas maso).
D'autre
part, les solos de batterie sont
facultatifs et le nombre de breaks
ne doit pas être inférieur
à quinze, mais peut dépasser
parfois les vingt.
Il
faut aussi et obligatoirement qu'il
y ait deux solos de guitares séparés
au moins de 7 à 8 minutes
et ils doivent être presque
identiques mais joués avec
deux guitares de marques différentes
(qui doivent être remerciées
au dos de la pochette bien visible
car l'album est un vinyle).
Cette
même pochette doit être
peinte impérativement par
Roger Dean. Elle doit représenter,
soit des oiseaux de proie aux griffes
acérées ou de monumentales
pyramides on encore des vaisseaux
ailés voguant dans un ciel
nuageux ou bien de ténébreux
chevaliers moyenâgeux sur
leur fier destrier (et le destrier
doit toujours être fier),
posant, une épée à
la main. Tout cela avec des couleurs
criardes et de mauvais goût
sinon ça ne donnerait pas
l'effet escompté.
Les
chansons doivent obligatoirement
parler de châteaux forts noyés
dans la brume près d'un lac
brillant sous une lune rousse (de
préférence), de nuits
sombres, de joyeux troubadours,
de dragons crachant le feu, d'elfes
facétieux, d'essaims de djinns
tourbillonnant dans l'espace éthéré
tel un nuage livide, de lutins espiègles,
de korrigans moqueurs, de fantômes
traînant de lourds boulets,
de farfadets farceurs, de Pierre
et Gladys au mois de mai regardant
passer, en robe blanche, des fées
mais pas de nains de jardin (faut
pas pousser !), de guerriers aux
pectoraux avantageux… attendez,
là, je crois que je confonds
avec Manowar. Excusez-moi…
Cette
pochette doit aussi évoquer
des temps bibliques, d'anciens géants
et même des tribus qui doivent
être obligatoirement du soleil.
A la fin de chaque titre, on reprendra
l'intro qui se terminera par le
bruit d'une chute de rivière
enregistrée "live"
dans les Highlands au nord de l'Ecosse
(ou éventuellement, si l'on
n'a pas les moyens dans la haute-Ardèche).
2.
Qui écoute du progressif
?
Pour
écouter du progressif, il
faut être né vers la
fin des années 40 et à
la rigueur, au début des
années 50.
Ecouter
du progressif, si l'on est né
plus tard et même à
la fin des années 70 peut
nuire gravement à la santé.
Celui
qui écoute du progressif
n'a donc plus vingt ans. Il est
- n'ayons pas peur de le dire -
un VIEUX ! C'est quelqu'un qui commence
à sentir les effets pervers
de l'âge. L'arthrose le guette
(mais, s'il fait toujours la même
météo, de préférence
chaude et sèche, il ne souffre
pas). Les bourrelets le gagnent
(mais, quand il est debout et qu'il
serre la ceinture, ça ne
se voit pas). Ses cheveux ont tendance
à changer de couleur (mais,
s'il se teint, il peut toujours
espérer faire illusion).
Parfois, il s'endort en regardant
"Derrick" à la
télé. Toute activité
sportive un peu poussée est
devenue pour lui un vulgaire fantasme
et lire le livret d'un cd tourne
au supplice. Sa vie est plus derrière
lui que devant. Et s'il se retourne,
il ne voit plus grand chose et alors,
il ne reste plus que des souvenirs
qui renaissent à travers
des revues datées, des volumineux
dossiers informatique, sorte de
musées du "copier-coller",
des textes mille fois lus, des bourses
au vinyles, des vieux 33 tours usés
jusqu'à la moelle et des
sites sur le net où il peut
lire tout ce qu'il sait déjà
et sa discothèque fait bien
rire l'amateur de heavy-métal
ou de rock alternatif.
3.
Qui a inventé le progressif
?
Il
est difficile de dire qui fut le
premier.
Robert
Fripp, qui a eu la gentillesse de
me recevoir, assure pour sa part
que ce n'est pas lui (et même
qu'il n'en a jamais fait), bien
qu'il eut jadis la velléité
de reprendre "I talk to the
wind" en soundscapes un jour
d'été dans le festival
rock dont j'ai oublié le
nom. Mais, je pense que le bougre
nous cache bien des choses sur ce
sujet.
Jon
Anderson, à qui j'ai envoyé
un mail par l'intermédiaire
du site ww.closetotheedge.com, m'a
répondu que j'avais dû
faire une fausse manœuvre en
cliquant sur ma souris, qu'il ne
m'en voulait pas et qu'il aimerait
bien que j'aille plutôt sur
le site www.jonanderson.com, qu'il
me remerciait d'avance et que je
ferais mieux de faire des critiques
de ses albums solo plutôt
que de me préoccuper de toutes
ces choses obsolètes.
Il
ne me restait plus, la mort dans
l'âme, qu'à chercher
la réponse dans mes propres
archives, fort complètes
au demeurant. Ce que je fis sur
le champ. Je consultai donc les
deux volumineux livres de Chris
Squire, le premier nommé
"Yes, c'est mon groupe préféré
!" et le deuxième,"Le
progressif, c'est toute ma vie !",
puis les beaux et passionnants "Je
suis du soleil" de Jon Anderson,
"Savez pas où je peux
trouver des parpaings ?" de
Roger Waters, "Le progressif,
connais pas !" de Peter Gabriel,
"Je bouge que les oreilles
!" de Robert Fripp et même
"Plus gros que moi, tu meurs
!" de David Gilmour, et à
mon avis, donc, à l'heure
qu'il est et aux jours d'aujourd'hui,
et malgré l'Internet, les
médiathèques et même
le carbone 14, il faut se rendre
à l'évidence et l'avouer
: il est impossible de savoir qui
a inventé le rock progressif
!
4.
Le progressif existe-il encore aujourd'hui
?
Pour
le savoir, je me suis rendu en Amérique
pour interviewer Neal Morse qui
semble être le dernier spécialiste
du genre. Malheureusement, je n'ai
trouvé que son fils qui m'a
affirmé que son père
était parti en "vacances"
dans un lieu qu'il tenait volontairement
secret afin qu'on ne le dérange
pas à propos, je cite : "De
choses futiles comme le progressif
et qu'on était prié
de lui foutre la paix et que si
on voulait de plus amples informations,
on devait attendre son retour vers
le début de l'an 2020 et
qu'on avait intérêt
à ne pas pénétrer
chez lui et toucher ces cds ou écouter
ses bandes car il avait mis des
pièges partout et que ça
allait chier".
A
cet instant précis, ce fut
comme si je venais de recevoir sur
la tête la discographie complète
de Chris Squire (pardon, plutôt
celle de Wakeman !), non pas le
fait que Morse s'exprime aussi mal,
non, mais plutôt parce que
je me sentais assez désemparé
et incapable de trouver quelqu'un
pouvant répondre à
cette ultime question.
En
désespoir de compte, je me
suis tourné vers mon voisin
(de droite) et pas plus tard qu'hier
et profitant du fait que je sortais
pratiquer ma deuxième passion,
après la musique, le jardinage...
Je
vous explique :
C'était
le début du printemps et
le soleil perçait, là,
à gauche, derrière
l'abricotier en fleurs, étalant
ses rayons amicaux sur mon visage,
bien que je fusse encore à
l'intérieur, goûtant
le café chaud du matin dans
lequel je trempais, sublime plaisir,
mon Palmito, bercé par les
arpèges mélodieux
du dernier cd de Steve Howe.
L'envie
de m'imprégner de cette belle
saison naissante me gagna.
Je
sortis donc, plein d'une allégresse
que seul me procure d'habitude l'écoute
des œuvres complètes
de Peter Hammill. Je me jetai alors
goulûment sur les outils.
Ah ! Le râteau ! Ah ! La bêche
! Et, allègrement, je me
mis à retourner cette terre
encore toute engourdie d'un hiver
long et tenace.
Tout
était lumière ! Tout
était joie ! Tout était
plaisir ! Sur une branche, un oiseau
sifflait joyeusement son chant mélodieux.
L'air était chaleureux. Le
ciel, clair et pur.
Je
m'arrêtai un instant, essoufflé,
ayant quelque peu présumé
de mes forces. N'est-il pas difficile
de se remettre d'un hiver passé
derrière l'écran de
son ordinateur ? Je me reposai,
appuyé sur ma bêche,
lorsque mon voisin (de droite) apparût
et tout de go. Je l'interpellai,
lui demandant :
- Ca existe encore, le rock…
euh… progressif ?
- Le rock ? Je connais Hallyday.
"Tute la musique que j'aime,
elle vient de là, elle vient
du blu-uuuuuuuuu-es". Ca c'est
du rock progressif, non ?
- Non.
Puis,
il retourna vaquer à ses
petites occupations basses et médiocres,
continuer de planter devant sa télé,
bricoler comme un fou le week-end
à sept heures du mat' et
faire pisser son chien devant mon
portail.
Le
rock progressif : un genre musical
méconnu
mais bigrement passionnant.
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