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CHRONiQUES MUSiCALES

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L'important, c'est
la casquette

Joeystarr
L'interview


Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant Joeystarr. Ca s'est passé l'autre soir au centre culturel Didier Barbelivien de mon quartier. Je passais par là, il tombait un déluge, je n'avais pas de parapluie, je suis entré m'abriter d'autant plus que c'était gratuit. Joeystarr y terminait une conférence sur un sujet des plus intéressants : "Le rap, c'est pas que de la merde !" Ensuite nous avons devisé cordialement dans le langage rap que je maîtrise parfaitement mais je vous donne ci-dessous une version moins imagée par mesure de commodité.


Salut Kool Shen, ça baigne ?

Répète un peu comment que tu m'appelles, bouffon, et je te balance un coup de boule dans la tronche !

Oh, pardon... désolé, je me suis gourré de rappeur... Vous, c'est Joey Starr, non ? Je peux vous appeler Joey ?
T'as pas intérêt ! Mon pseudo à moi que j'ai c'est JoeyStarr tout collé. Donc "Joey" ça peut pas le faire... "Starr" encore moins.

N'y a-t-il pas quelque part dans votre pseudo comme un hommage à Ringo Starr ?
Qui ça ?

Le gars qui avait une super coiffure dans les années 60 et apprenait à chanter dans un sous-marin jaune ?
Et puis quoi encore ? Pourquoi pas Joey alors en souvenir du dessin animé Joey chez les abeilles pendant que t'y es !

Vous avez vu ce dessin animé ?
Oui, un épisode, l'autre jour à la télé alors que je zappais en attendant Un dîner presque parfait sur Arte.

Ca vous a plu ?
Ouais, j'adore la bouffe.

Non, le dessin animé, je voulais dire.
C'était d'la bomb ce truc ! En plus y'avait une chanson dans le générique, je t'en chante un passage, là, sans préparation, à capello ?

A cappella ?
Ouais.

Je préfère pas.
Tant mieux, ça m'arrange.

Pourquoi ?
Je chante à peine mieux qu'un robinet à soupape en panne.

C'est dommage.
Pas vraiment car dans le rap c'est aussi important que les dialogues dans un film de Rocco Siffredi.

Mais pourquoi ce pseudo Joeystarr... euh... Joeystarr ?
Eh bien, Joey c'est en hommage à un gars qui s'appelle Joey DeMaio, un metalleux comme on en fait peu, un mec sévèrement burné que c'est un vrai baroudeur.

Ah bon ?
Figure-toi qu'il est capable de se balader en slip sur une motoneige en plein hiver à travers les States et même si la terre a tendance à se réchauffer, faut le faire quand même vu que le Joey, il crèche pas sous l'équateur et il a beau avoir des couilles d'acier, quand même !

Vous aimez le metal, vous ?
Oui, j'ai même chez moi un tee-shirt Manowar mais je le mets jamais en public, ça pourrait craindre, quoi !

Et Starr ?
Star, c'est l'étoile. En anglais, ça fait plus mieux. Et j'ai lu quelque part en feuilletant un truc d'astronomie au Superette du coin que l'étoile ça génère un rayonnement dans le spectre visible. Du coup j'ai pensé que l'étoile, c'est tout moi ça, tu trouves pas ?

Non... Mais pourquoi ces deux "r" à Starr ? Pourquoi les deux mots sont collés dans votre pseudo ? Qu'est-ce que vous prenez au goûter ? C'est quoi l'adresse de votre dentiste ? Quel temps il va faire demain ?
Putain, ça en fait des questions ! En fait, les "r" ça fait rap et les deux mots collés, c'est pour faire joli... C'est quoi les autres questions, déjà ?

Laissez tomber... Pouvez-vous nous donner une définition du rap, genre artistique des plus complexes qui à l'instar du post-metal ou du death-prog est super dur à définir.
Eh bien, c'est tout simple en fait. C'est comme qui dirait un cri venu de l'intérieur du fond du dedans des banlieues, dans les cités, un truc qu'il est aussi puissant que le boucan du Diable de Tasmanie quand y l'est en rut. Tu connais ?

Euh... non.
Crois-moi, ça fout la trouille !

Mais, pourquoi le rappeur a-t-il cette tenue de scène à la c... euh... cool ?
Si t'as pas le look qu'il est joli et fait la différence on risque de te prendre pour un chanteur de variétoche pour meufs de plus de cinquante berges.

Mais, peut-on se risquer à dire que le rappeur est un, comment dirais-je, musicien ?
Si on veut car le rappeur se trouve être aussi musicien qu'une lampe halogène qui est capable de porter à incandescence un filament de tungstène comme je l'ai lu dans "L'électricité pour tous" au rayon bricolage...

De Superette ?
Non, à Monoprix.

Y'a-t-il un intérêt socio-culturel au rap ?
Socio quoi ?

Le rap c'est important dans les cités ?
Sûrement. Faut savoir que ça raconte en vingt mots maximum plein de super belles choses pleines de rebellitude et de poésisme qu'on dirait presque du Rambo...

Du Rimbaud, vous voulez peut-être dire ?
Ouais, du rainbow.... En tout cas, des trucs qui causent à un public nombreux délicat et hyper-sensible qui y voit comme l’expression de son être qui l'est mal que sa vie c'est de la merde avec plein de "Yo" partout.

Quels sont, à votre avis, les albums essentiels du rap, ceux qui ont changé les banlieues en quelque sorte ?
J'en vois qu'un et c'est une de mes oeuvres majeures à moi que j'ai et dont à laquelle les générations comme qui dirait futures retiendraient dans l'avenir qu'il est loin et même que c'est bien plus tard.

C'est pas "Toute ma vie j'ai rêvé d'être une hôtesse de l'air" ?
T'y es pas !

Ou alors "C'est trop con un singe !" ?
Encore moins.

Euh, je vois pas...
C'est pas "Euh, je vois pas" non plus. C'est "Gare au jaguarr" bien sûr !

Est-ce inspiré par ce superbe film nommé "Le jaguar" où l'on peut voir Jean Reno qui récemment dans un remake de "The wall" jouait super bien le rôle d'une brique ?
Tu te gourres. Mon CD c'est un clin d'oeil à Brassens.

Vous l'avez écouté ?
Mon CD ?

Non, Brassens.
Oui, un jour que je me faisais chier à zapper en attendant Télé-foot.

Vous avez aimé ?
J'adore le foot. Et, faut pas croire, c'est pas forcément le ballon le plus con.

En fait je parlais de Brassens.
J'ai essayé de l'écouter mais bon faut parfois sortir un dico pour comprendre les mots qu'il jette le gars. En plus il a une moustache, ça craint, et un jeu de scène pas terrible et il a pas de casquette.

Dites-nous tout, Joeystarr : le rap va-t-il encore nous emmer... nous enchanter longtemps ?
Sûrement et c'est une super bonne chose.

Pourquoi ça ?
Tout simplement parce qu'après avoir écouté du rap tu entends plus les choses pareil et tu te dis par exemple qu'un truc comme le R'n'b c'est pas si merdique que ça.

Joeystarr, j'ai cru voir dans vos textes, en plus d'un énorme talent d’écriture, quelque part, une réelle souffrance existentielle qui expliquerait sûrement le désespoir sous-jacent de vos compositions.
Sous quoi ?

Vous souffrez ?
Oui, je souffre. Et je l'exprime souvent. Du coup ça part de droite, de gauche. Tout le monde s'en prend plein la tronche, surtout les meufs, c'est plus facile, et du coup ça se retrouve vite à l'hosto. En fait je suis un écorché vif.

C'est une bonne excuse.
Je veux, oui.

Le grand Joey DeMaio affirmait : "La création, c'est le hurlement d'un muet dans la nuit noire". Ca vous inspire quoi ?
Il fait ce qu'il veut. Personnellement, je préfère quand c'est éclairé, comme ça je peux mettre un DVD de Bigard. Tu connais son sketch de la meuf qu'avait trois nichons ?

Non. Et dites-moi, Joeystarr, entre nous, comment vous faites pour avoir cette voix crispante ?
C'est beaucoup de boulot pour y arriver. Le rap c'est pas un truc fastoche à la portée du premier venu.

Ah bon ?
Faut pas être la moitié d'un con pour y arriver.

Et de la musique, vous comptez en mettre dans votre prochain album ?
De la quoi ?

De la musique, vous savez, ce truc qui donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée.
Putain, c'est trop de la bombe ce que tu dis ! C'est de toi ?

Non, c'est de Platon.
C'est ton pote ?

Joey, dites-moi...
Non, pas Joey Dites-moi mais Joeystarr...

Ha ! Ha ! Ha ! On peut dire que vous avez un sacré sens de l'humour vous les rappeurs !
Hein ? Quoi ?

Non, rien... On lit des fois des trucs très durs sur le rap, comme quoi ça chante pas, y'a pas de musique, les textes sont nuls, la voix est insupportable, c'est naze, vous en pensez quoi ?
Rien. Tout ce que je sache c'est que j'ai des chiées de fanatiks. Ils me kiffent à mort, me suivent partout même hors des cités... J'avoue que parfois ça me bluffe.

Ah bon ?
Ouais et je crois même que si je ferais un truc qui sera super génial, ils seraient été encore là, c'est dire.

Oui, c'est étonnant.
En fait, c'est toujours plein à craquer à chacun de mes concerts et j'empoche aussi le pez pendant que j'y es, je vais me gêner ! Et maintenant je crèche enfin ailleurs que dans les banlieues à la con, je me fringue chez Lacoste, je roule en Benz, alors hein...

Oui, ça ne trompe pas.
D'ailleurs comme tout ce qu'il est nouveau et différent, y'a toujours des vieux réacs pour cracher dessus. Dans le temps on ferait pareil pour le peintre van Goal.

Qui ça ?
Le gars qui fumait tellement qu'il en avait perdu l'oreille droite.

Dites-moi, Joeystarr, c'est facile de se faire le look rappeur ?
Pas vraiment. Et faut le faire sérieux sinon manquerait plus qu’on te prend pour un épouvantail tout juste bon à faire se marrer les potes toujours prêts à sauter sur la moindre occase de se foutre de ta gueule.

Les gens sont méchants.
C'est sûr.

Et la casquette, c'est important ?
Putain, si c'est important ? Ca compte plus que tout parce que pour être un rappeur, un vrai, suffit pas d'avoir l'air, faut aussi la casquette !

C'est tout ?
Non, bien sûr. Faut aussi essayer, et ça c'est pas le plus fastoche, crois-moi, de prendre l’air le moins con possible entre le rappeur qui vient d’avoir une idée et celui qui réfléchit.

C’est sûr qu'à ce moment là plus personne se fendra la poire.
Ouais, et une fois qu'on a le super look il reste plus qu'à trouver les super lyrics qui vont avec.

Justement, quand vous écrivez vos super textes, vous vous faites aider par Booba ?
Tu me cherches ? Gaffe, si tu continues tu vas te prendre un coup de godasse dans les couilles !

Alors sur ces derniers mots de franche convivialité j'ai quitté Joeystarr tout collé. Rapidement je me suis dirigé vers la sortie. Joeystarr, très simple, signait des autographes. Puis, une fois dehors, comme la pluie avait cessé, je m'éloignai alors qu'une ambulance arrivait dans un bruit continu d'avertisseur sonore devant la salle Didier Barbelivien. Je continuai ma route, ravi d'avoir appris tant de choses passionnantes sur ce genre artistique des plus décriés et par la même occasion sur ce personnage plutôt attachant, yo !