Victor Hugo
Hernani
(1830)
Hernani est une pièce historique.
C'est même une pièce
triplement historique.
Tout d'abord, Hernani conte, outre
l'histoire du brigand Hernani
et de son amour pour miss Soleil,
l'élection de Don Carlos
alias Charles-Quint. Le sujet
est donc historique bien que peu
traité.
Ensuite, Hernani représente
un peu, dans un sens, quelque
part, au niveau de l'universalité
d'une certaine passion humaine
farouche, une sorte de naissance
de la sensibilité, des
affres de la passion et de l'esthétisme
mélancolique.
Vous voyez ce que je veux dire
?
Hernani, c'est le romantisme,
putain ! Il faut vraiment tout
vous expliquer.
D'ailleurs, Lamartine n'a-t-il
pas dit, rue Notre-Dame-des-Champs,
le 21 mars 1830 : "Hernani,
c'est le romantisme, putain !
Il faut vraiment tout vous expliquer
???"
En effet, il ne l'a pas dit, mais
c'est tout comme.
Pour finir, Hernani est à
l'origine de la bataille du même
nom qui opposa les défenseurs
du classicisme aux modernistes.
Inutile de préciser que
si vous êtes du côté
des classiques, vous êtes
de droite !
Vous qui êtes donc de droite
(pouah !), vous êtes de
grands défenseurs de la
règle des trois unités
du théâtre classique.
Les unités de temps, de
lieu et d'action, je précise.
Hugo, lui, il s'en cogne, des
trois unités. Un acte se
situe à Aix-la-Chapelle,
le suivant à Saragosse.
Il mélange deux intrigues
et fait des ellipses temporelles
entre les actes. Quel drôle
de cabotin que voilà !
Et ses alexandrins, mes aïeuls,
ils sont...
Voyez plutôt :
Don Carlos - Aussi n'en veux-je
qu'un. Oui, non. Ta dame est bien
Doña Sol De Silva ? Parle.
Doña Josefa - Oui. Pourquoi
?
Don Carlos - Pour rien. Le duc,
son vieux futur, est absent à
cette heure ?
Doña Josefa - Oui.
Don Carlos - Sans doute elle attend
son jeune ?
Doña Josefa - Oui.
Don Carlos - Que je meure ! Duègne,
c'est ici qu'aura lieu l'entretien
?
Doña Josefa - Oui.
Don Carlos - Cache-moi céans.
Doña Josefa - Vous ?
Don Carlos - Moi.
Doña Josefa - Pourquoi
?
Don Carlos - Pour rien.
Doña Josefa - Moi, vous
cacher ?
Don Carlos - Ici.
Doña Josefa - Jamais.
Don Carlos - Daignez, madame,
choisir de cette bourse ou bien
de cette lame.
Je vous aide :
1. Aussi n'en veux-je qu'un. Oui,
non. Ta dame est bien
2. Doña Sol De Silva ?
Parle. - Oui. Pourquoi ? Pour
rien.
3. Le duc, son vieux futur, est
absent à cette heure ?
4. Oui. - Sans doute elle attend
son jeune ? - Oui. - Que je meure
!
5. Duègne, c'est ici qu'aura
lieu l'entretien ?
6. Oui. - Cache-moi céans.
- Vous ? - Moi. - Pourquoi ? -
Pour rien.
7. Moi, vous cacher ? - Ici. -
Jamais. - Daignez, madame
8. choisir de cette bourse ou
bien de cette lame.
C'est
anti-dogmatique, c'est anti-constitutionnel
! Diable, si Victor Hugo était
encore de ce monde, il voterait
LR.
Outre ces fantaisies réjouissantes,
Hernani, par sa bataille, nous
offre un terrible piège
pour nos contemporains béotiens.
Vous connaissez quelqu'un que
vous voulez fumer ? Nous en avons
tous un et je peux vous aider.
J'ai pas mal bourlingué,
je sais être pédant.
Je connais des secrets qui énervent
vraiment. Par exemple César,
que Brutus poignarda. C'est un
beau cauchemar pour des mecs de
prépa. Vous pouvez me croire,
ma technique est facile. Il suffit
de savoir trouver un imbécile.
Le voici, il est là, votre
sot ennemi. Dites " qui gagna
la bataille d'Hernani ? "
S'il hésite c'est bon,
profitez-en pour rire. S'il dit
Napoléon, sa réponse
est la pire.
Ah mes césures à
l'hémistiche, quelle beauté
! Il y a bien une petite tricherie
de ma part et je le déplore.
Mais que voulez-vous, n'est pas
Corneille qui veut. Et puis comme
personne ne me lira, ce n'est
pas très important. J'aurai
l'esthétisme à défaut
d'avoir la gloire. Et plus intéressant
que l'esthétisme, il n'y
a que l'esthétisme ET la
gloire.
Bien joué Victor.
La citation : "Taisez-vous,
doña Sol ! Vous donnez
l'éveil aux yeux jaloux.
Quand je suis près de vous,
veuillez, quoi qu'il advienne,
Ne réclamer jamais d'autre
aide que la mienne."
Un peu plus sur Hugo
Un jour, quelqu'un m'a dit qu'il
fallait 400 ans pour lire l'oeuvre
complète de Victor Hugo.
Je rendrais la chose un peu plus
humaine en disant, qu'approximativement,
une personne qui lit à
bonne vitesse et qui consacre
une heure par jour à Hugo,
devrait pouvoir boucler son oeuvre
en 2 ans et 328 jours. Oui, j'ai
des approximations très
précises.
Si Hugo a autant écrit,
c'est parce qu'il était
un touche-à-tout. Il n'hésitait
d'ailleurs pas à faire
tourner les guéridons alors
qu'il écrivait, debout,
sur l'île de Guernesey.
Hugo, c'est une icône pour
le peuple autant que pour les
lettrés. S'il y a bien
un auteur que l'intelligentsia
ne peut pas refuser à la
plèbe, c'est bien Hugo.
Je ne fais pas référence
à ses écrits engagés.
Je n'entends pas non plus que
tout le monde l'a lu. Non, je
dis simplement que tout le monde
le connaît.
D'ailleurs, je disais, pas plus
tard qu'hier : "Moi,
j'ai lu Ruy Blas, Lucrèce
Borgia, Cromwell, l'Homme qui
rit et pourtant, je suis sûr
qu'en société, je
brillerai autant qu'un fan de
Patrick Fiori qui n'aurait écouté
que la comédie musicale
de Richard Cocciante."
Hugo appartient à tout
le monde et il a même été
classé sixième du
classement "du plus grand
Français de tous les temps"
sur France 2, derrière
Jean Réno, Michel Drucker,
Eric & Ramzy (ex-aequo) et
Djamel Debouzze, preuve s'il en
est qu'Hugo est aimé du
bas peuple.
|