Jean-Pierre
Bois
Dumouriez
: héros et proscrit (2005)
Préface de l'introduction
:
"Pourquoi lisez-vous une
biographie de Dumouriez ?"
m'a demandé une dame, hier.
Je lui ai répondu que c'était
pour comprendre les raisons de
sa trahison. Comment un homme
qui déclare la guerre à
l'Autriche et la bat sur le champ
de bataille peut, le lendemain,
décider de passer du côté
autrichien ? Est-ce par soucis
d'être toujours du côté
du plus faible ? Après
lui avoir exposé ces faits
étonnants, la dame m'a
dit : "C'est à cause
d'une femme". Je lui ai demandé
si elle pensait que Dumouriez
avait trahi la France pour une
belle autrichienne et elle a acquiescé.
Pourquoi pas.
Introduction :
Il existe des artistes dont la
personnalité empiète
sur l'oeuvre. Ce sont des connards
qui avaient du génie pour
écrire, pour composer ou
pour gouverner. Peut-on aimer
Louis XIV malgré ses guerres
et le faste indécent de
la cour ? Peut-on aimer Céline
malgré "Bagatelle
pour un massacre" ? Peut-on
aimer Robespierre ou Marat malgré
leur folie meurtrière ?
Peut-on aimer La Fayette qui fut
de tous les bords ? En résumé,
peut-on oublier consciemment les
errements douteux de certaines
de nos idoles, tel Johnny Halliday
?
Lorsque j'ai créé
mon calendrier, j'ai été
confronté à cette
question d'éthique monumentale
qui m'a fait constater qu'un millier
de cadavres d'il y a deux cents
ans pesaient beaucoup moins que
les deux morts d'hier. Au final,
j'ai choisi des aventuriers, des
assassins, des bellicistes, des
truands, des voleurs ou des traitres
qui se nomment César Borgia,
Bismarck, Coronado et j'en passe.
C'est un peu comme si le 4 décembre,
je commémorais le massacre
des aztèques, considérant
que l'exotisme de la conquête
de l'Amérique du sud et
la sombre démarche "civilisatrice"
de Cortés supplantent l'annihilation
d'un peuple. De même, je
récompense le 29 octobre
les pièces de Giraudoux
en faisant fi de son rôle
très contrasté en
1940. Cela signifie que si nous
vivions actuellement une période
de grave crise, mon calendrier
m'enverrait simplement à
l'échafaud pour haute trahison,
quel que soit le mouvement politique
en place. Comme La Fayette, je
suis de tous les bords (et quasiment
des pires).
Donc, finalement, j'en reviens
à la même question
: puis-je décemment dire
que j'aime bien ces hommes là
? Puis-je oublier consciemment
les errements douteux de certaines
de mes idoles, tel Claude François
? Pourquoi mes voisins me réveillent
à quatre heures du matin
? La vie est-elle vraiment faite
de choix aussi difficiles ?
Deuxième introduction :
Aujourd'hui, 20 septembre, c'est
mon 500ème jour à
Paris. Dans mon calendrier, le
20 septembre est le jour Kellermann
car il gagna la bataille de Valmy
sous le commandement de Dumouriez.
Il y a des hasards qui m'effraient
parfois. Pour trouver Dumouriez,
cependant, il faut remonter au
26 janvier, date de sa naissance.
Pour la multitude, Charles-François
Dumouriez n'existe pas. Il n'a
pas l'universalité d'un
Patton, ni la reconnaissance d'un
Joffre, voire d'un Ney. Et encore,
je suis ample dans mes choix car
je doute parfois que Ney, "le
héros sans cervelle",
soit vraiment connu. Dans Paris,
il est toutefois possible de retrouver
Dumouriez. Il a gagné la
bataille de Jemmapes (quai de
Jemmapes) et celle de Valmy (quai
de Valmy) dont nous fêtons
donc aujourd'hui le 231ème
anniversaire. Ses collègues
généraux des guerres
révolutionnaires sont également
là : rue Custine, avenue
Jourdan, avenue Marceau, avenue
Kléber, boulevard Kellermann,
etc. Seulement, le nom Dumouriez
n'apparaît pas. Il n'y a
pas d'impasse Dumouriez comme
il n'y a pas de rue Robespierre.
Allez à Valmy, vous y trouverez
la statue de Kellermann, la rue
Kellermann mais pas de Dumouriez.
Sa biographie porte bien son nom
"Dumouriez : héros
et proscrit".
S'il
a été banni du paysage
français, c'est pour avoir
pactisé avec l'ennemi.
On peut pardonner les massacres,
les coups d'état, les invasions,
les dictatures mais pas les trahisons.
Celui qui est accusé d'intelligence
avec l'ennemi peut dire adieu
à sa postérité
; jamais il ne donnera son nom
à une rue.
Je
me fais mentir moi-même
puisque son nom apparaît
sur l'Arc de Triomphe,
entre La Fayette et Kellermann.
Pourquoi
? :
C'est parce que Dumouriez a déconné
que j'ai lu Jean-Pierre Bois.
Vous me direz que Jean-Pierre
Bois n'est pas de bois, certes,
mais ça n'a rien à
voir avec ce qui nous préoccupe.
Dumouriez, lui, n'est pas davantage
de bois mais surtout, il est un
arriviste. Via sa biographie,
Dumouriez apparaît froid,
prétentieux et aussi bien
capable d'un opportunisme de génie
que d'une admirable maladresse.
S'il a travaillé dans l'ombre
(espion trop prolixe sous Louis
XV) jusqu'à devenir commandant
du port de Cherbourg en 1778,
Dumouriez n'a jamais eu d'autre
ambition que la gloire et le feu
des projecteurs. Et dans l'optique
de monter les marches du festival
de Cannes avec Angelina Jolie,
il y a mieux que commandant du
port de Cherbourg. Vous voyez,
c'est un peu comme diriger la
mégalopole du Peyral et
vouloir enchaîner sur la
présidence de la République.
Dumouriez sait qu'on ne devient
pas une star mondiale en chantonnant
sous sa douche (quoique...) alors
il ne peut que se féliciter
de l'arrivée de la Révolution.
Enfin de l'action et peu importe
les principes, pourvu qu'on y
fasse carrière.
Dumouriez se montre de partout,
se fait des amis, d'abord des
petits puis de plus influents
comme La Fayette ou Mirabeau tout
en restant à droite de
la gauche, si vous me permettez.
La Fayette et Mirabeau, s'ils
étaient des patriotes,
demeuraient parmi les plus modérés,
voire les très modérés
: une révolution, peut-être,
mais pas une république.
Ainsi, Dumouriez est un partisan
de la monarchie constitutionnelle
voire parlementaire. Il est donc,
comme bien des nobles patriotes,
un homme de tous les camps ; trop
noble pour les uns, trop démocrate
pour les autres. Heureusement,
chargé de calmer une modeste
sédition à Niort,
Dumouriez prouve son patriotisme
(modéré), ce qui
convient très bien aux
pontes du moment qui le sont aussi
(modérés). Le ministère
girondin du printemps 1792 fait
appel à lui. Grâce
à son expérience
de l'Europe et du monde diplomatique
(souvenez-vous, il était
espion prolixe dans sa jeunesse),
il est nommé ministre des
affaires étrangères.
La gloire :
A partir de là, c'est l'escalade.
Dumouriez, vous lui donnez un
poste important, il vous refait
le monde ! Ministre des affaires
étrangères en mars
1792, donc, Dumouriez déclare
la guerre aux envahisseurs le
20 avril suivant. Général,
il arrête les prussiens
à Valmy le 20 septembre,
bat les autrichiens à Jemmapes
le 6 novembre, pénètre
en Hollande en février
1793, en mars il avance toujours
tambours battants lorsque la Convention
lui demande de se replier sur
la Belgique et... c'en est fait
de la spirale ascendante. Vous
l'avez sûrement compris,
Dumouriez est un homme qui va
de l'avant, qui jamais ne baisse
les bras, insiste encore et toujours
pour atteindre le sommet, quand
bien même son cheminement
serait le mauvais, ce qui le fait
s'embourber dans ses propres erreurs.
Peut-être peut-on imputer
cet aspect de son caractère
à ses origines buccorhodaniennes
car s'il est né dans le
nord, sa famille vient d'Aix en
Provence. Les sudistes, on le
sait, sont souvent enclins à
foncer dans les murs.
La
honte :
Bref, Dumouriez se rebelle contre
la Convention ; le 18 mars, c'est
la débâcle de Neerwinden
; le 27 mars, il tente un coup
d'Etat. Son armée refuse
de le suivre, ses propres hommes
lui tirent dessus (!), il s'enfuit
à cheval, poursuivi par
son armée d'hier et n'a
plus comme seule alternative que
de passer à l'ennemi. Voilà
un pronunciamiento comme on les
aime, piteux à l'instar
de celui de La Fayette du 14 août
précédent. Comme
sa victoire à Valmy, militairement
anecdotique (une simple canonnade
et moins de 600 morts), a changé
la face du monde (je pèse
mes mots), son coup d'état
raté, politiquement anecdotique
(il n'a même pas fait un
seul pas vers Paris) a changé
la face du pays. Traitre ami des
girondins (donc des modérés),
Dumouriez entraîne les siens
dans sa chute. A la Convention,
les chefs girondins sont arrêtés
ou fuient, les Montagnards (donc
les radicaux) dirigent l'Assemblée
et instaurent la Terreur. En résumé,
la défection de Dumouriez
est à l'origine de l'exécution
de 16594 personnes, de la mort
de Robespierre, de l'arrivée
de Napoléon, etc. Si nous
sommes dans la merde en 2008,
c'est aussi la faute de Dumouriez.
Charles-François, mon ami,
tu déconnes !!
L'explication :
Donc,
disions-nous, selon JP Bois, dans
l'optique d'un renversement du
gouvernement, de la restauration
d'un roi sur le trône (Louis
XVII) et de l'obtention d'un poste
super cool à 30kF par mois
(régent, par exemple),
Dumouriez a commis trois erreurs
:
1. Entre la défaite de
Neerwinden et sa fuite à
cheval, trois semaines passent.
Dumouriez, au lieu de marcher
sur Paris avec son armée,
procrastine. Voilà un mot
que j'essaye de caser depuis des
mois. Non content d'être
un procrastineur, Dumouriez prévient
qui veut l'entendre qu'il va faire
un coup d'état. Le mec,
au lieu d'agir, fanfaronne en
envoyant des lettres à
travers le pays pour dire : "Attention
les gars, j'arrive, vous avez
intérêt à
frôler les murs". Je
vous avais dit que c'était
un mec prolixe.
2. On ne réussit pas un
coup d'état avec une armée
battue (à Neerwinden, donc).
Sans doute est-ce aussi pour remettre
ses troupes à flot qu'il
perd trois semaines.
3. Il pactise avec Cobourg et
l'armée autrichienne. On
pardonne bien des choses en ces
temps bordéliques mais
pas la trahison. Après
cela, inutile d'espérer
l'appui de la soldatesque. Comme
le dit Bois : "Ils auraient
suivi le rebelle, ils ont condamné
le traître".
La conclusion :
Dumouriez
a donc accumulé les échecs
: un coup d'état mort né,
une armée qui ne le suit
pas, un pacte avec l'ennemi qui
refuse finalement de le soutenir,
de l'abriter et - comble de la
déchéance - de l'emprisonner
! Si Custine pactisa avec les
autrichiens, Pichegru oeuvra pour
les royalistes, La Fayette passa
également à l'ennemi,
le premier fut guillotiné,
le deuxième étranglé,
le troisième emprisonné
pendant des années. Dumouriez
n'a même pas eu cette gloire.
Il a été contraint
à l'exil, finalement rejeté
par tout le monde. Il pensa un
temps faire son retour sous Napoléon
mais ce dernier le refusa car
trop ambitieux. Dumouriez se rallia
donc aux Anglais (l'ennemi...)
pour combattre l'Empire et rédigea
de nombreux écrits dans
lesquels il a tenté de
se laver (en vain) du crime de
trahison.
A défaut d'avoir pu répondre
à toutes ses ambitions,
il a finalement partagé
sa fin avec les plus grands en
mourant seul, abandonné
de tous.
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