Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Dani, chanteur
du célèbre groupe
de black-metal Cradle of filth,
hier soir dans son vieux manoir
du Massachussetts. Après
avoir passé un antique portail
qui grinçait dans un bruit
angoissant, je traversai une immense
allée bordée d'arbres
sombres et inquiétants qui
s'agitaient sous le vent mauvais.
Au loin l'orage grondait. Avant
que je frappe à la monumentale
porte d'entrée, je reçus
sur l'épaule une fiente de
chauve-souris. J'y vis là
comme un mauvais présage.
Bonsoir monsieur Fouf. Sale temps
pour les vampires !
Ca, vous pouvez le dire ! Tiens,
vous avez une merde sur l'épaule
!
C'est
une saloperie de chauve-souris.
Il y en a plein dehors. Vous faites
un élevage ?
Pas du tout. Mais faut savoir qu'un
temps pareil, ça les traumatise,
ces pauvres bêtes. C'est hyper
sensible ces petits animaux. Ils
sont un peu à mon image.
Une carapace dure au mal qui cache
une émotivité à
fleur de peau.
Ah
bon ?
D'ailleurs, il y a dans la région
un dicton qui affirme à juste
raison : "Temps pourri, chauve
chie, temps joli, chauve-souris."
L'est
pas un peu con votre dicton, monsieur
Fouf ?
Filth, pas Fouf.
Oui,
je sais ! Mais vous comprenez, votre
nom n'est pas facile à prononcer
pour un français. En plus
chaque fois, j'ai peur de postillonner.
Ah bon ? Eh bien… comment
dit-on Filth en français
?
Ordures,
déchets… escoubilles.
Comment dites vous ?
Escoubilles...
Franchement c'est nul comme nom,
non ?
Je trouve pas. C'est super au contraire.
Mais, je dois vous avouer que je
n'y suis pour rien.
Ah
bon ? C'est pas un pseudo ?
Pas du tout. Mon père et
mon grand-père s'appelaient
déjà comme ça.
Mais, je préfère ça
à Boon par exemple.
Oui,
sûrement.
Alors, Va pour escoubilles.
D'accord
Dani Escoubilles. Tout d'abord,
une question qui me brûle
les lèvres. Est-il vrai que
vous mesurez 1m 12 ?
Ah ! Ah ! Voyez comme sont les gens
! Tous des méchants ! En
fait, ce sont des balivernes. Je
mesure 1m 35 sans les talonnettes.
Un
mètre trente cinq ? C'est
sept centimètres de plus
que Ozzy Osbourne et trente-deux
de plus que Prince.
De plus que qui ?
Prince,
love symbol, the artist formerly
known as Prince, le petit gars qui
se prend pour un génie.
Putain, y'a des milliers de gars
qui se prennent pour des génies.
Ah
bon ?
Bien sûr. Tiens, pas plus
tard que hier matin, en allant acheter
une baguette...
Vous
mangez du pain ?
Oui, ça m'arrive. Une fois
bien sec, je m'en sers pour faire
des canapés de hibou.
C'est
bon ?
Plus que ça ! C'est succulent
!
Et
hier donc ?
Eh bien, j'ai rencontré dans
le village voisin pleins de mecs
qui se baladaient habillés
d'un long manteau noir avec de fausses
dents et le visage peint en blanc...
Mais ce Prince, lui, je le connais.
C'est le nabot de Minneapolis, le
nain pourpre... Il danse bien mais
son look ça craint un peu...
En fait, je parlais de l'autre.
Ozzy
Osbourne ?
Oui. Je le connais pas, lui.
C'est
un type avec des lunettes jaunes
qui chantait dans Black Sabbath
et qui est tombé dans le
ridicule récemment.
Il s'est fait mal ?
Je
vois que vous avez beaucoup d'humour,
monsieur Escoubilles !
Oui, j'avoue que de temps en temps,
un petit sourire, un bon mot, ça
fait pas de mal dans ce monde de
brutes black-metalleuses qui est
mon lot quotidien entre hémoglobine,
vampires et tronçonneuse.
Et
Osbourne ?
Hmm… Il me semble connaître
un Ozzy Osbourne, effectivement.
Mais celui que je connais était
déjà ridicule du temps
de Black Sabbath.
C'est
quoi Black Sabbath ?
Des vieux musicos qui essayaient
de me copier.
Ah
bon ?
Mais, cet Osbourne, c'est peut être
le même.
Peut-être.
Mais parlons plutôt de vous.
Oui, bien sûr. Parlons de
moi, c'est plus passionnant.
Expliquez
nous, mon cher Dan... Je peux vous
appeller Dan ?
Ca me paraît un tantinet familier,
mais pourquoi pas après tout.
Dan,
comment vous faites pour chanter
avec cette voix si particulière.
En fait, je mets des oursins dans
mon slip.
Pardon
?
Vous savez, lorsque j'étais
jeune et que je ne portais pas encore
ces foutus dents de vampires, je
jouais avec des potes dans des bals.
On s'appelait "Anal destruction".
Super
le nom ! Je trouve que quelque part,
ça interpelle un maximum.
Oui mais nos détracteurs
nous surnommaient "Les suppositoires".
Oh
! Ca c'est méchant !
Vous savez, comme disait, je sais
plus si c'est Foucault ou Drucker,
"on ne peut pas plaire à
tout le monde".
Peut-être
! Mais, là... ça doit
faire mal !
Non, pas vraiment. En tout cas,
moins qu'un suppositoire... Mais
peu importe. A cette époque,
j'étais déjà
le leader, vous comprenez, parce
que je suis charismatique.
Ah
bon ?
Parfaitement. Et je me devais donc
d'innover, d'aller de l'avant. J'avais
toute une panoplie kitsch avec des
idées que d'autres m'ont
piquées depuis. Je pense
par exemple à Gene Simmons
de Kiss ou à Jérôme
Rothen des Sex Pistols.
Vous
voulez sans doute dire Johnny Rotten
des Sex Pistols ?
Oui, c'est bien lui. Donc, j'avais
un filet de pêcheur sur le
dos, une épingle à
nourrice fichée dans la joue
et je portais un slip à clous.
Vous voyez le truc ?
Euh...
Pas vraiment.
Un jour, nous jouions dans un gymnase
à l'occasion de la troisième
mi-temps d'un match de l'équipe
féminine des Queens Park
Rangers. A cause de ce con de Bill,
mon bassiste, nous étions
arrivés en retard. Nous nous
sommes donc précipités
sur scène, notre matos sur
le dos. Dans la précipitation,
j'ai mis mon slibard à l'envers.
Ça a été une
révélation.
Vous
vous êtes dit qu'Anal Destruction
n'était finalement pas un
nom aussi déplacé
?
Non pas du tout. Je venais d'inventer
une nouvelle façon de chanter
! Par contre, il est vrai que ça
m'a fait diablement mal. Depuis,
j'ai trouvé une meilleure
technique. Je fous des oursins dans
mon slip et hop, je retrouve instantanément
ma voix et je souffre moins.
Dan,
êtes-vous d'accord avec le
poète qui affirmait que la
souffrance enfante les songes comme
une ruche ses abeilles ?
Peut-être. En vérité,
j'en sais rien. J'avoue que j'ai
jamais vraiment essayé de
mettre une ruche dans mon slip.
Dan,
finalement, vos efforts n'ont pas
été vains. Souvenez-vous
du référendum du magazine
Hard Rock en 1998 dans lequel vous
aviez été élu
meilleur chanteur.
Oui, je m'en souviens. J'avoue que
je suis encore surpris.
Comment
ça ?
Je n'ai plus été le
numéro un les années
suivantes.
Quel
message aimeriez-vous faire passer
à ceux qui ont voté
pour vous ?
Enlevez vos boules quies les gars
!
Mais
tout de même, monsieur Escoubilles,
comment expliquez-vous votre succès
étant donné la noirceur
et la violence de votre musique
?
En fait, je hurle des "gnagnagna"
comme une chauve-souris.
C'est
bien imité en tout cas.
Je veux oui ! Mais pour les oreilles,
c'est plus difficile et j'ai du
mal.
C'est
vrai. Elles sont moins longues.
Vous avez raison. j'ai beau essayer
tous les soirs de les tirer pendant
plus d'une heure...
Comment
vous faites ?
C'est simple. Je me suspends par
les oreilles avec des épingles
à linge à l'étendage
dans le jardin.
Ca
n'a pas l'air d'être concluant
?
Vous avez raison. Et en plus je
souffre le martyre !
En
effet, ça doit faire très
mal !
Oui, surtout que ça caille
un max la nuit dehors et puis y'a
ces fichus corbeaux qui viennent
me chier dessus... Mais tout n'est
pas négatif.
Ah
bon ?
Oui, je fais fuir les sangliers.
Ces saloperies qui détruisent
tout dans le jardin.
Quelque
part, il faut souffrir pour être
beau, Dan.
C'est vrai.
Mais,
comment faites-vous pour emportez
l'adhésion de votre nombreux
public ?
En fait, c'est simple. Si c'est
gore, dégueulasse, malsain
et infâme, ça plait.
J'écris des paroles hyper
poétiques dans lesquelles
je raconte des trucs que j'oserais
même pas dire à mon
pire ennemi.
A
ce point ?
Plus que ça. Quand j'écoute
mes disques, j'en ai froid dans
le dos ! Alors je me mets vite un
best of d'André Rieu et de
suite ça va mieux !
Quels
sont vos projets, Dan, pour demain
matin après cette saloperie
d'orage ?
J'ambitionne d'écrire un
concept album en m'inspirant du
film "Cannibal Holocaust".
J'ai besoin de blé en ce
moment, il faut que j'achète
un hochet en forme de crâne
défoncé pour ma fille.
A
ce propos, comment va-t-elle, votre
fille ? Elle se prénomme
Suppuration, si je ne m'abuse.
Ah ! Ah ! Suppuration, c'est son
second prénom. Sinon, oui,
elle va très bien.
Eh
bien, merci monsieur Escoubilles
pour cette entrevue fort enrichissante.
Il n'y a pas de quoi l'ami.
Alors j'ai quitté Dani. J'ai
retraversé l'allée.
Un vol de corneilles fondit rapidement
sur moi. L'une d'elles dans un affreux
croassement essaya de me crever
un oeil. Un réflexe rapide
de la main m'évita le pire.
Comme je passais le grand portail
en fer, je constatai avec stupeur
que mon vélo n'était
plus contre le grand mur de pierres
où je l'avais laissé
avant d'entrer. "Elle m'a pas
porté chance cette saloperie
de chauve-souris !" pensai-je
alors que, trempé jusqu'aux
os, je me mettai au bord de la route.
Je fis alors du stop en attendant
un hypothétique véhicule
qui pourrait me transporter loin,
tres loin de cet endroit à
la con.
![](https://effetlarsen.fr/daninter2.jpg)
Dani
Filth se faisant la voix, le soir
dans son manoir.
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