Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Damien Saez l'autre
soir, vers 22 heures. Il m'avait
donné rendez-vous au concert
du formidable groupe Kyo dans une
de ces salles magiques où
se joue l'avenir du rock. Après
un set endiablé, nous nous
sommes retrouvés autour d'une
bonne bière dans un bar branché
où il accepta en toute honnêteté
de répondre à mes
questions après avoir négligeamment
remonté une mèche,
euh... rebelle.
Damien,
que pensez-vous de l'excellent groupe
Kyo qu'on vient de voir à
l'instant ?
Putain, j'en transpire encore !
Vous
suintez ?
A vrai dire, j'en sais rien. Mais
en tout cas je les aime beaucoup.
Ils sont frais et spontanés.
Quelque part ils me ressemblent.
Et tu sais pourquoi ?
Euh...
Non.
Parce qu'ils sont authentiques.
Ah
bon ?
Sûrement. Et ils sont sans
contexte ce qui est arrivé
de mieux au rock français
depuis Indochine.
Un
grand groupe !
Oui. C'était les seuls capables
de se faire la même coupe
de cheveux que les Cure. C'est pas
rien.
Demeurez-vous,
Damien, avec toujours autant de
velléité, cet écorché
vif que tantôt vous fûtes
pas plus tard qu'au récital
de Kyo lorsque vous entonnâtes
avec eux lors du grandiose final
?
Hein ?
Vous
êtes toujours autant rebelle
?
Je veux oui. Et je rajouterai même
: plus rebelle que moi tu meurs.
Damien,
peut-on vous considérer comme
un chanteur engagé ?
Absolument. Prenez par exemple "J'veux
m'en aller". C'est un réquisitoire
assez dur contre un système
scolaire oppressant.
Ah
bon ?
Oui. Y'en a marre de porter des
cartables aussi lourds.
Comment
ça ?
Faut savoir qu'à force, on
risque une fois vieux, en plus d'être
cons, de finir pleins de douleurs.
Quel
message voulez-vous transmettre
aux jeunes qui vous écoutent
et attendent beaucoup de vous ?
Je leur dirai simplement de continuer
d'acheter mes disques et de m'aimer
encore.
Vous
aimer ?
Parfaitement. Car s'ils ne m'aimaient
plus, ça voudrait dire qu'ils
sont devenus vieux.
Seuls
les vieux n'aiment pas vos disques
?
Y'a quelques jeunes aussi. Mais
c'est des jeunes cons.
Damien,
êtes-vous d'accord avec vous-même
quand vous déclarez, je vous
cite : "Enfant d'une génération
ratée, qui pensait qu'à
rêver de drapeaux blancs moi
j' veux du nucléaire"
?
Absolument. C'est un cri de révolte
que quelque part je pousse.
Ah
bon ?
Nous les jeunes, on veut la paix
dans le monde. La guerre c'est hyper-laid.
J'ai la haine de ce monde plein
d'inhumanité.
Est-il
possible ou impossible, Damien,
comme vous l'avez dit si bien dans
"A bout de souffle", de
définir des possibles pour
défier l'impossible ?
A dire vrai, je sais plus.
Comment
ça ?
Si on sait où sont les limites
du possible on peut facilement savoir
ce qui est impossible.
Et
alors ?
Vu qu'on sait ce qui est impossible,
je vois pas pourquoi on s'y attaquerait
puisque c'est impossible.
En
effet.
Mais bon, j'ai dû écrire
ça un jour où j'avais
dû fumer un truc bizarre.
Maintenant, je m'en tiens à
ce qui est possible et on en parle
plus.
Cette
chanson est-elle inspirée
quelque part par le film éponyme
de Godard ?
"épo" quoi ?
Le
film qui a le même titre que
votre chanson.
Je croyais que Godard faisait que
des commentaires vélo à
la télé. Il fait du
ciné maintenant ?
Non...
Que pensez-vous du rock français
actuel ?
J'aime bien Luke. Ils ont un peu
de mon agressivité. Mais
je pense qu'ils auraient jamais
dû prendre un autre chanteur
à la place de Cantat.
Damien,
vos détracteurs vous accusent
de ne pas transpirer cette authenticité
que tantôt vous avez prêté
à Kyo tantôt.
Putain, moi je transpire pas ! Qu'ils
viennent me voir après le
concert, ils verront ça.
Je perds en moyenne 10 kilos par
soir !
Mais,
Damien, si je peux me permettre
: l'authenticité ne se mesure
pas forcément aux kilos perdus
? Non ?
Tu en connais toi des chanteurs
authentiques qui sont gros ?
Euh...
Non.
Ah, tu vois !
Certains
n'ont pas apprécié
votre version de "La prière"
sur "Les oiseaux de Passage",
album hommage vibrant, s'il en fut,
à Georges Brassens. Quelle
est votre opinion à ce sujet
?
Je m'en fous. L'important c'est
que ça plaise à Brassens.
Damien,
n'est-ce pas incompatible d'être
à la fois jeune et con ?
Pas forcément. Bon, c'est
vrai qu'il y a aussi des vieux cons
mais faut quand même savoir
que c'est les mêmes qui l'étaient
étant jeunes.
Vous
n'avez pas peur de vieillir, alors
?
Pas du tout. au contraire. Je sais
que je resterai le même que
je suis aujourd'hui. Ca me rassure.
Ah
bon ?
Vieillir c'est rien. Le tout, c'est
de rester jeune dans sa tête.
Belle
Maxime !
Où ça ?
Alors
j'ai quitté le bar et Damien
Saez par la même occasion.
Comme je traversais la rue Daniel
Balavoine dans l'obscurité,
je ne pus résister à
l'envie de chanter :
Puisqu'on
est jeune et con
Puisqu'ils sont vieux et fous
Puisque des hommes crèvent
sous les ponts
Mais ce monde s'en fout ...
Soudain,
depuis une fenêtre qui venait
de s'ouvrir violemment, jetant un
halo de lumière sur mon beau
visage de jeune homme fatigué,
j'entendis une voix me crier : "C'est
pas bientôt fini tout ce boucan
! Je travaille moi, demain ! Va
donc chanter tes conneries ailleurs
! Taré !" Alors, avant
de continuer mon chemin dans la
nuit noire, je me suis surpris à
crier : "Vieux con !"
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