Voici un classement, parmi d'autres, des meilleurs films de tous les temps :

1. M le maudit (1931)
2. Les sept samouraïs (1954)
3. Vol au dessus d'un nid de coucou (1975)
4. L'anguille (1997)
5. Brazil (1985)
6. Les enfants du paradis (1945)
7. Le mécano de la General (1927)
8. Printemps, été, automne, hiver et printemps (2004)
9. L'homme qui tua Liberty Valance (1962)

Même si nous sommes en droit de douter de la pertinence et de l'utilité de ce type de classement, avouons que celui-ci est honnête. Un poil anticonformiste mais honnête. Il brasse neuf décennies de cinéma, il y a du britannique, du français, de l'asiatique, du ricain et on retrouve un classique en tête. Pourtant ce classement est totalement irrecevable. Il l'est parce qu'il n'existe que trois films qui sont le meilleur de tous les temps : "Casablanca", "Le parrain" et "Citizen Kane". Tout autre numéro 1 est inacceptable, quand bien même il semblerait l'être. Opter pour un autre film que ces trois là ferait de vous une sorte d'anarchiste marginal dangereux. Quant à savoir comment on peut décemment dire qu'un film d'aventure de 1939 est meilleur qu'une comédie dramatique de 1994, je ne le sais pas plus que vous.

"Citizen Kane" est donc le meilleur film de tous les temps, au même titre que les deux autres suscités. La seule différence réside dans le public visé. Si vous faites un classement pour des vieux cinéphiles, ce sera "Citizen Kane", pour des vieux non cinéphiles, "Casablanca", pour les autres, "Le parrain". Ces trois films sont devenus consensuels à force d'être mis en première position de tous les classements. Il est donc tout à fait normal et accepté de les voir truster la première place. Et personne ne se soucie vraiment de savoir si "Citizen Kane" est un film intéressant. C'est même carrément hors de propos, incongru, voire malvenu. Tu peux dire à tes potes que c'est un chef-d'oeuvre sans qu'on te cherche des noises, c'est tout ce qu'il y a à savoir.

Alors, évidemment, "CK", c'est un travail impressionnant sur le visuel, quasiment en permanence, ce qui donne l'occasion à Welles de nous jeter une pléthore d'idées diverses (profondeur sur trois ou quatre plans jamais floue, reflets, contre plongées, etc.), des mouvements de caméra audacieux et des tonnes de flash-back. Ici Kane est un mégalo égoïste, sa vie professionnelle n'est pas intéressante, pas davantage que sa vie amoureuse. Du coup je m'y suis repris à trois fois pour passer la première heure. Et si en découvrant le film on patiente pour savoir qui est Rosebud, au deuxième visionnage on ne sait plus trop pourquoi on patiente. Finalement, au-delà d'une qualité technique indéniable, le plaisir que l'on peut prendre à voir ce film prête davantage à discussion.