Ne
reculant devant aucun sacrifice,
j'ai rencontré le beau et
sémillant Christian Vander,
leader charismatique du plus vieux
et plus atypique des groupes géniaux
de rock français, j'ai nommé
Magma. Il m'a reçu en toute
simplicité dans son bureau
en train d'écrire (Vander
pas le bureau). Il portait un long
manteau noir sur lequel figurait
un signe cabalistique assez abscons.
C'est
quoi ce signe que vous avez sur
votre manteau ?
C'est un logo. Comme Renault par
exemple...
Le
chanteur ?
Non, les bagnoles qui sont toujours
en panne.
Ah,
d'accord.
Oui, tout le monde a son logo. Magma
en a un. C'est pour bien nous reconnaître.
Tu regardes le logo, tu sais que
c'est Magma ! Pas con, hein ?
En
effet... Mais vous écrivez
quoi, là ?
Je travaille à une œuvre
de vulgarisation du kobaïen.
Comment
ça s'appelle ?
"Le kobaïen sans peine".
C'est
quoi le kobaïen ?
C'est une langue peu connue mais
super passionnante. Le concept est
génial. Il s'agit de l'Uniweria
Zekt.
Hein
?
C'est super simple. Y'a un mouvement
Kobaïen qui est en fait une
métaphore du départ,
de la rupture totalement irréversible
qui s'applique aussi bien au rejet
des civilisations à la con,
totalitaires oppressives qu'à
des modes d'expression obsolètes
sur lesquels tout est à reconstruire.
Magma se situe donc comme un vecteur
hyper puissant de la pensée
kobaïenne profonde, Tu piges
?
Euh...
Bon. J'explique. Le groupe Magma
à travers sa super musique
magistrale est le porteur de cette
parole forte sur cette putain de
Terre. Ainsi, le groupe que j'ai
créé y'a tellement
longtemps que je sais plus quand
c'était, eh bien, il continue
son inébranlable quête
de la Beauté, de la Sagesse
et du Bonheur. Rien que ça.
C'est
fort !
Tu l'as dit bouffi ! La musique
de Magma, j'ai appelé ça
"zeuhl". Ca m'est venu
d'un coup dans un putain de moment
d'inspiration. Ce mot veut dire
en kobaïen "musique céleste"
! Et elle l'est, tu peux me croire
!
Pourquoi
le kobaïen ?
Bon. Chanter en anglais, ça
fait pas terrible pour notre musique.
J'ai pas envie qu'on nous prenne
pour un groupe européen bourrin
de heavy metal à la con.
Ensuite, en allemand on nous prendrait
peut-être pour des néo-nazis.
Et
pourquoi pas en français,
comme Kyo ou Ange ?
Qui ça ?
Ange...
Eux c'est normal. Ils se la jouent
terroir, légendes. Tu les
vois parler de fées, d'un
maréchal-ferrant dans une
autre langue que le français
? Ils seraient pas crédibles.
Magma, avec le concept que véhicule
le groupe, ça serait vraiment
nul. Et puis comme en kobaïen,
personne y comprend que dalle, tu
peux toujours croire que ce qu'on
chante c'est génial. Et avec
la musique, ça devient hyper
impressionnant.
Vous
pouvez pas nous expliquer un peu
le kobaïen ?
Eh bien, le kobaïen est une
langue que j'ai inventée
un soir que je regardais un vieux
film russe, "Les chevaliers
teutoniques", sur Arté
tout en fumant un pétard
en écoutant en fond sonore
un vieux vinyl de Coltrane. Je me
suis dit : "putain Chris, super
le concept !" J'ai alors imaginé
une histoire d'un peuple en marche.
Comme
ça marche le kobaïen
?
Eh bien, c'est simple. D'abord tu
dois savoir que le kobaïen
se doit d'utiliser des chiées
de k.
Ah
bon ?
Parfaitement. De plus tu as impérativement
à mettre un tréma
sur presque toutes les voyelles
utilisées juste pour une
question de phonétique, car
le kobaïen se doit d'être
guttural, mot qui signifie : qui
part du gosier. Conclusion : le
kobaïen doit être postillonné
!
Pas
possible ?
Si, je t'assure. Quelques h
par ci par là ne sont pas
non plus à dédaigner
car ça fait plus teutonique
quand on lit les pochettes.
Ah
bon ?
Oui. Et de temps en temps, on ajoute
aussi des accents circonflexes.
Beaucoup
?
Non. Pas trop quand même…
Faut pas pousser !
D'accord.
Parfois, il serait bon, mais ce
n'est pas obligatoire, de doubler
le a ou le u si l'on veut.
Ca
a l'air compliqué !
Mais non ! Si tu veux, on peut faire
un essai.
Pourquoi
pas ?
Bon. Tu es prêt ?
Oui.
Allons-y. Je commence à te
parler : äz tü aïméz
Mekanïk Destruktiw Kömmandöh
dheu Magmä ?
Nhön.
C'est faux. Fallait répondre
: "Oüi".
C'est
pas facile !
Essayons encore.
D'accord.
Vïendräs-tü aü
pröchaïnz köncert
de Mägmä ?
Sûremann
päs.
Tu le fais exprès, merde
!
Euh...
non.
C'est encore pas ça ! Et
en plus, faut pas de tréma
sur le a. Sinon, tu utilises
un accent qui est un superlatif
absolu donnant l'expression à
son plus haut degré.
Ah
bon ?
Tu aurais dû dire : Jheu
lë mankeraï soü aukûn
prétextë !
Finalement,
c'est pas un peu con le Kobaïen
?
Pas du tout. Au contraire ! Il faut
insister et tu atteindras le hamtaï.
Le
quoi ?
Le salut. Apprends à parler
le kobaïen, achète les
disques de Magma. Ecoute ma musique
et ta vie changera ! Ca me fera
un peu de blé et par la même
occasion tu t'élèveras
vers un ailleurs que seuls les membres
de la communauté zeuhl ont
la chance d'atteindre !
Bon,
en attendant, je dois vous quitter.
Je suis garé en double file
et j'ai peur que Prisunic soit fermé.
Moi aussi j'ai à faire.
Votre
bouquin ?
Non. C'est l'heure du Dîner
presque parfait sur TF1.
Alors,
je me suis éloigné
du grand Christian Vander. Il était
beau et majestueux dans son immense
manteau noir. Il me fit un signe
de la main lançant quelques
mots sibyllins. Son logo de Magma
dans lequel se reflétait
un soleil couchant et complice,
brillait dans le jour finissant.
Je suis remonté à
regret, très ému,
dans ma voiture garée en
double file, une Peugeot 405 diesel
blanche, 145 000 kms, pneus neufs,
auto-radio sans cassettes de Magma.
Arrivé chez moi, je me suis
mis la vidéo des chevaliers
teutoniques tout en écoutant
un vieux vinyl de Carl Orff. Ca
ne me fit pas le moindre effet !
Au bout de cinq minutes, je décidai
de laisser tomber et j'ai mis "Kohntarkosz".
J'ai alors pris une aspirine. J'aurais
peut-être mieux fait de me
procurer un pétard !
|