Avis
au lecteur :
Aujourd'hui
pour me coltiner la chronique
de ce disque (qui n'en sera
pas une en fait) et ne reculant
devant aucun sacrifice, je me
suis moi-même rencontré
(de mon vrai nom Eric) chez
moi dans le HLM de mon charmant
et paisible bourg provençal
baigné de cigales et
serré entre l’incinérateur,
l’usine métallurgique
et le chemin de fer. J'étais
installé devant mon PC
écoutant un Stabat Mater
tout en écrivant ma deux
cent troisième chronique
d’album de Miles Davis
et regardant une vidéo
de Neil Young tout en notant
les nouvelles chroniques à
faire en rangeant mes disques
de metal-prog alors que je téléphonais
à ProgRecords pour commander
un live de James LaBrie unplugged
at Marvejols.
Salut
Eric, ça va ?
Pas vraiment. J'ai les boules.
Comment ça ?
Figure-toi que j'ai pas encore
reçu le double CD du
live de Mange La Valise enregistré
l'été dernier
en concert à Rodez.
Ca, c'est con.
Tu l'as dit bouffi.
Dis-moi, Eric, c'est
vrai que tu adores Cabrel ?
Pour sûr. Même
que j'ai tous ses disques à
la maison. Cabrel est définitivement
l'Empereur de la poésie
- avec Christophe Maé,
peut-être. Je sais plus
si c'est Cabrel ou Maé
qui a dit : "dormir sur
des paquets de planches".
Remarque, c'est peut-être
moi.
"Sarbacane" de Francis
Cabrel serait en plus un disque
important pour toi, c'est une
blague ?
Pas du tout.
Peux–tu raconter
pour nos nombreux lecteurs l’intérêt
que tu peux porter à
ce disque en fait pas plus primordial
que "Raqué comme
jamais" de Gims.
Si tu veux mais cinq minutes,
pas plus. Je dois encore écrire
la chronique du dernier Soprano
avant "Les Reines du shooping".
Merci.
Eh bien, figure-toi qu’il
est à part parmi les
milliers que j’ai écoutés
car je l'entendais beaucoup
lors d'un été
torride, alors que j’étais
parti au bord de la mer qui,
au ciel d´été
confond ses blancs moutons avec
les anges si purs, faut le faire
!
En effet.
Je passais, bercé par
les jolies mélodies cabrelisantes,
quelques jours de bronzette,
paix, amour et musique.
Comme à Woodstock
?
Presque... la boue en moins
et ces vacances furent pour
moi des instants inoubliables.
Ah, quels moments d'intense
émotion ! Quelle extase
! Quelle félicité
! Quel délice ! Quelle
béatitude ! Quel ravissement
! Quelle heure est-il ?
Moins cinq. C'est bientôt
l'heure de goûter.
C’était le bonheur
et la joie sur la musique de
ce "Sarbacane" où
sont enfin finis les matins
paupières en panne, lourdes
comme des bouteilles de butane.
Et pourquoi pas "propane
"?
Non, c'est "butane".
Pourtant "propane"
ça rime bien avec "panne".
Vois-tu, c'est du Cabrel et
Cabrel, c'est ça : prendre
certains risques avec la poésie.
Et si je peux me permettre,
je rajouterai que la poésie,
n'est-ce pas quelque part, créer
ce que jamais nous ne verrons
?
C'est certain que Cabrel n'a
jamais vu de bouteille de butane.
T'es sûr ?
Ouais et ce disque écouté
sur ces plages idyliques, a
pour moi une grande valeur sentimentale.
Je l'écoute souvent aujourd'hui
dans le quotidien, dans la banalité,
dans ma bagnole et les brumes
matinales. Et chaque fois me
revient à l'esprit ce
passé à jamais
révolu. Permets que je
verse une larme.
Je t’en prie.
Figure-toi qu'à peine
j'entends "Tout le monde
y pense où y'a des gens
plein les urgences sous les
lumières des abats-jour",
et me revoilà parti quelques
années en arrière...
Y'a des abats-jour dans
les urgences ?
Putain, si tu m'arrêtes
sans arrêt, j'y arriverais
jamais, c'est sûr.
Excuse-moi. Continue.
Alors je cours au ralenti sur
la plage de sable chaud, les
mollets tendus et les abdominaux
rentrés, le sourire aux
lèvres, la dent blanche
et saine, le cheveu plein d’embruns
et le bronzage naissant. Que
n’avais-je un camescope
pour graver dans la postérité
ces instants magiques ?
C'est vrai, c'est dommage.
Je plonge, éphèbe
musculeux dans les flots impétueux,
et me voilà parti dans
un crawl torride sous le regard
admiratif des touristes ventripotents
et grillés de soleil.
Je réécoute "Le
pas des ballerines avec dehors
le soleil médecine aux
crinières des chevaux"
et je vois un soleil incarnat,
corps céleste imposant
se noyer dans l’horizon
bleu-mordoré d’une
mer sereine mais toujours recommencée.
C'est de Cabrel ?
Non.
C'est beau quand même.
Et je me dis : O lumière
! Où vas-tu ? Globe épuisé
de flamme, nuages, aquilons,
vagues, où courez-vous
? Qu’est-ce que j’ai
fait de la pochette de ce putain
de CD ?
Euh... Tiens, je la
vois, là !
Où ça ?
Ton cabot s'était
assis dessus.
Con de chien !
Pauvre bête.
Ce "Sarbacane", vois-tu,
je l’écoute, tout
me revient et plus besoin de
phrases ni de longs discours,
ça change tout dedans,
ça change tout autour.
C'est de toi ?
Non, c'est de Cabrel.
C'est beau quand même.
Tu veux que je te chante un
petit truc de ce super disque
pour finir ?
Euh non, il faut que
j'y aille, là, de suite.
Il est tard, c'est con, tout
est précaire, et je sens
que l'automne se consume là-bas
quand je sais que le feu dévore
les berges de Garonne où
les arbres flamboient.
T'emportes pas "Sarbacane"
?