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À lire en public

Alessandro Baricco
Homère, Illiade (2006)




Ce Baricco est une adaptation de l'Iliade. Ce bon vieil Alessandro a décidé, un jour, de faire la lecture publique de l'œuvre d'Homère. L'entreprise est donc honorable et même estimable, d'autant que Baricco a déjà donné dans le style avec l'histoire du pianiste Novecento qui a été écrite pour être lu à haute voix, sur scène.

La traduction, nous le savons, est une trahison (voir la biographie de Shakespeare) mais l'adaptation est sans doute pire. Alors, que penser de ce Baricco là ? Le " Homère, Iliade " que je viens de lire est donc, et Baricco souligne l'étrangeté de la chose dans sa préface, la traduction française de l'adaptation d'une traduction italienne de l'Iliade d'Homère qui est un texte grec.

Pour rendre le texte lisible en public, Baricco s'est vu contraint de faire des coupes. Le texte final représente environ le tiers de l'original et même un peu moins. S'il a éliminé les fréquentes répétitions que se permettait Homère, Baricco a également sucré les dieux. Leurs interventions tout le long de l'Iliade, Baricco les juge " étrangères à la sensibilité moderne ". Là, évidemment, je suis contre. C'est comme effacer les cigarettes des photos de Jean-Paul Sartre parce que fumer en 2023, c'est mal. Bientôt, on lui ôtera son strabisme avec Photoshop parce que ça ne correspond pas à l'esthétique du XXIe siècle. Non, Alessandro, on ne coupe pas les dieux pour une question de sensibilité moderne.

Ensuite, Baricco s'autorise quelques ajouts. L'Iliade devenant une histoire racontée à haute voix, les différents protagonistes racontent à la première personne. Parfois, Baricco a ajouté des pensées, des interprétations à propos desquelles j'ose m'offusquer. " La guerre est une obsession de vieux, qui envoient les jeunes la faire ", c'est aussi piquant et pertinent que du System Of A Down :

" Why don't presidents fight the war ? Why do they always send the poor ? Why do they always send the poor ? Why do they always send the poor ? Why do they always send the poor ? "

On peut légitimement se poser la question.

C'est malheureux car Baricco a toujours eu un certain sens de la formule (dans " Château de la colère " ou " Océan Mer "). Ces ajouts, cependant, apparaissent en italique et peuvent donc être sautés le cas échéant.

Mais il est inutile d'en rajouter, amis lecteurs. Vous avez compris que là où le bât blesse, c'est lorsque nous entrons dans le terrible débat sur la vulgarisation. Je pourrais me lancer dans un interminable monologue délibératif pour savoir s'il est bon de vulgariser mais je ne suis pas dans une pièce de Corneille.

Sur le sujet, je place volontiers mon fier fessier entre deux chaises bien que la position ne soit pas forcément confortable. Car ne vulgariserai… ne vulgarisais-je… est-ce que je ne vulgarise pas moi-même ? Hein ? Oh ? Oui, un peu. Je me dis que grâce à mes critiques littéraires, les blogs skyrock deviendront bientôt des repaires de puits d'érudition. J'ai déjà tenté d'embrigader des connaissances qui caressaient le doux espoir un tantinet improbable de plaire à des femmes intéressantes par l'intermédiaire de leurs lectures. Ma quête est sans fin, je vous l'accorde car il faut aussi éduquer les femmes pour qu'elles deviennent intéressantes. Que voulez-vous, je suis un utopiste.

Pour en revenir à l'Iliade de Baricco, je dirais qu'en ce qui concerne l'intérêt à la lecture, je suis dubitatif (bien que l'ayant dévoré en un clin d'œil). Je reconnais cependant, et ceci est la preuve irréfutable de ma bonne foi, qu'Alessandro Baricco n'a pas écrit sa version de l'Iliade pour qu'elle soit lue à l'ombre d'un saule blanc aux feuilles lancéolées. Non, non !! Alessandro Baricco voulait qu'elle soit lue en public. Donc, je lui laisserai le bénéfice du doute.

PS : Dans la postface du livre, Baricco expose brièvement une théorie intéressante sur la beauté de la guerre.

La citation : "Et avec mon épée, je lui tranche net la tête, il parlait encore avec cette fichue bouche, et il tendait la main vers moi en me suppliant, et moi, avec mon épée je lui tranche, sa tête, et je la regarde rouler dans la poussière".