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Bernard Lavilliers
L'interview





Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant Bernard Lavilliers. Ca s'est passé l'autre jour dans le train pour Saint-Flour qui devait m'amener chez ma tante Georgette. Après avoir confondu un temps Lavilliers avec Le Forestier, alors qu'il ne m'en tenait pas rigueur - "T'en fais pas mon gars, le mois dernier à Rio, on m'a même pris pour Ronaldo !" -, je mis en marche mon magnéto qui ne me quitte jamais et nous avons commencé l'interview alors que défilait devant nos yeux la belle campagne de France, de plaines en forêts, de vallons en collines, du printemps qui va naître à tes mortes saisons, d'autoroutes en cheminées d'usines, de cités dortoirs en bordilles à la con...


Bernard, peut-on dire de vous que vous êtes l'éternel baroudeur de la chanson française ?

Oui, on peut.

Vous allez où ?
En Lozère.

Ah bon ?
Oui, il était temps que je découvre le peuple magique de cette secrète et mystérieuse région du Gévaudan qui sait vivre au rythme des saisons et celui de la bourrée. Tu connais ?

Euh... Pas du tout.
Tu devrais t'y mettre... Tiens, achète le nouvel album d'un pote à moi nommé Maurice-Kingston Badaroux, un petit gars de là-bas, super authentique et sincère.... Tout moi, quoi !

Comment ça s'appelle, son album ?
"Carnets de bouses", c'est assez fort. Si j'osais, je dirai même que sa musique, c'est un cri qui vient comme qui dirait de l'intérieur.

Belle formule, Bernard.
En plus le Gévaudan, c'est une communauté qui a beaucoup souffert. C'est quand même eux qui ont été victimes de la bête.

Laquelle ?
Celle du Gévaudan, pardi.

Y'a-t-il une réelle différence entre le Brésil et la Lozère ?
C'est sûr. Il fait un peu plus chaud au Brésil. Quand je suis allé pour la cinquantième fois à Rio l'été dernier, j'étais obligé de me balader torse nu sur Copacabana. Heureusement que j'ai l'habitude de faire de la muscu, ça m'a aidé. Il faut tout prévoir quand on voyage.

Vous avez aimé Rio ?
Bien sûr. Tous ces petits gars qui jouent au foot avec des boîtes de conserve dans les favelas, ça surprend toujours.

Ils dansent la samba aussi ?
Oui, et ils font les deux en même temps, c'est pas fastoche. Et la bossa nova, c'est quelque chose aussi. Et encore je te parle pas du carnaval avec toutes ces nanas à moitié à poil...

Bernard, votre dernier chef-d'oeuvre s'appelle "Samedi soir à Beyrouth". Peut-on y voir un parallèle avec l'album "Samedi soir sur la terre" de Cabrel ?
Peut-être pas car lui, il ne sort jamais de son trou du sud-ouest alors que moi je suis allé vraiment à Beyrouh.

En stop ?
Ca va pas non ? Tu sais où c'est Beyrouth ?

Euh... non.
C'est pas la porte à côté. On y va pas comme on va à Saint-Etienne. Tu connais Saint-Etienne ?

C'est où par rapport à Beyrouth ?
J'en sais rien. En tout cas, c'est certain que j'ai intérêt à prendre un Transall si je veux aller aussi au Groenland (les Inuits y font une super musique en cognant des os de phoques), en Manchourie (ils ont le rythme dans la peau, là-bas, ça groove), en Ousbekistan où ils ont des chants fantastiques même si un peu de soul dessus ce serait super et aussi en Jamaïque (le reggae, c'est quelque chose) où j'ai plein de potes.

Ils fument de l'herbe ?
Oui mais ils n'ont pas toujours le temps, faut aussi qu'ils fassent du ska, du rocksteady et du dance hall.

Tout ça ?
Oui et même un peu de ragga.

Vous allez faire quoi en Lozère ?
Je voudrais y approfondir la rythmique de la bourrée et créer peut-être au niveau mélodique des choses un peu différentes. Faire "groover" la Lozère. Une reggae-bourrée en quelque sorte.

Ca vous inspire quoi cette région ?
La Lozère, c’est un lieu formidable même si c'est hyper déserté. L'hiver, la nuit, les loups viennent même roder près des villages.

Et la bête du Gévaudan ?
Elle est morte, heureusement... Mais dans certains hameaux retirés, c’est un autre monde. Il y a de tout et des petits chanteurs de hip-hop/slam/dance hall. Il y a beaucoup de gens qui vivent dehors, sur des bidons par exemple.

Ca ne doit pas être facile, non ?
C'est sûr. Mais comme c'est une communauté habituée à la dure, pas de problèmes. En plus ils peuvent en même temps taper dessus et faire de la super musique vraie comme j'aime.

Vous comptez rester longtemps là-bas ?
Bien sûr. Il faut que je reste un long moment quelque part pour que quand je reviens plus tard, mes futurs amis me disent comme ils l'ont fait tantôt à Bogota : "T’es rentré ?", comme si j’habitais là bas...

C'est étonnant.
Oui et faut savoir qu'on me connaît un peu partout dans le monde. Tu veux une anecdote à ce sujet ?

Non.
Eh bien, l'autre jour quand je suis arrivé à Memphis, y'a un pote à moi qui m'a dit qu'il avait rencontré quelqu'un à Santiago du Chili - il voyage beaucoup, lui aussi - qui lui avait dit, texto : "T'as pas vu Bernard, je le cherche partout ?" C'est fou, non ?

Bernard, vous avez dit : "Les gens d’une autre histoire sont d’une autre distinction." Vous pouvez développer ?
Faut savoir que le gars qui vit en Lozère c'est pas le même qu'à Kingston. En Lozère tu te les cailles pas que l'hiver même si la terre a tendance à se réchauffer alors qu'en Jamaïque ça brûle toute l'année. On est sous les tropiques, mon gars, tu dois le savoir. Du coup avec sur le crâne en permanence des dreadlocks, c'est pas fastoche mais compte pas sur eux pour se plaindre.

Bernard, quelqu'un a dit : "Il y a plein d’histoires dans les ports", vous peut-être ?
Ca se pourrait bien. J'ai tellement dit de choses.

Et pas que des conneries...
C'est vrai.

Ca vous inspire quoi cette pensée profonde ?
Dans les ports y'a des ghettos, des musiciens....

Ils tapent sur des bidons ?
Oui, mais pas tous... Y'a plein de gens hallucinants. Dans les ports, tu as le monde entier. Afrique, Brésil, orientaux, arméniens, chinois…

Lozériens aussi ?
Oui, peut-être bien que je ne souviens pas en avoir rencontré à Säo Paulo.

Et Syracuse, vous y êtes allé ?
Non, pas encore mais j'aimerais tant voir Syracuse, L'île de Pâques et Kairouan et les grands oiseaux qui s'amusent à glisser l'aile sous le vent...

Ca donne envie.
Voir le pays du matin calme, aller pêcher le cormoran et m'enivrer de vin de palme en écoutant chanter le vent...

C'est beau.
Voir les jardins de Babylone et le palais du Grand Lama. Rêver des amants de Vérone au sommet du Fuji Yama...

Merci, Bernard, merci...
Avant que la vieillesse vienne, j'aimerais tant voir Syracuse pour m'en souvenir à Saint-Etienne...

C'est où par rapport à Saint-Flour ?
Euh...

Vous comptez aller où après la Lozère ?
Je sais pas trop... Peut-être l'Ardèche, on m'a dit que c'était super l'Ardèche. Il parait que les gars de cette région y font une musique avec une rythmique particulière que j'aimerais bien mélanger avec ce qui se fait à Valparaiso où depuis que j'en suis parti tout le monde s'emmerde sans moi.

Ce sera donc le mot de la fin.
Quoi "moi" ? C'est super comme mot de la fin.


Alors comme je me retrouvai sur le quai de la gare, le train s'en alla vers l'inconnu emportant Lavilliers vers de nouvelles aventures, on the road again. Aux alentours, quelques autochtones égarés dans des près sous la brume pleuraient leur misère au rythme de chants mystérieux comme venus du fond des âges tout en tapant avec leurs sabots sur les cornes de leurs vaches qui parfois de désespoir se jettent sous le train. C'est sûr, la prochaine fois, Lavilliers s'arrêtera à Saint-Flour...

 

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L'iNTERViEW PASSiONNANtE D'UN AUtRE CHANtEUR FRANçAiS
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Quand il pète il troue son slip
Sébastien Patoche

... où il nous dit sur ses saucissons préférés, la taille de ses slips et bien d'autres choses encore...